Le supermarché
Aujourd’hui
c’est vendredi. Ah, ouais ? Super, et alors ? Aujourd’hui c’est
vendredi.
Jour de
courses.
Le
supermarché. Monstre moderne qui se nourrit de chair humaine à grandes goulées. À côté le Minotaure, c’est carrément un petit joueur, qui avait de plus
l’honnêteté touchante de ne pas cacher son jeu. Ils savaient à quoi s’en tenir
les sacrifiés ! Et un repas par an, là, ça force le respect. On ne peut
plus raisonnable, le Minotaure. Alors que le supermarché…
Vous
pénétrez dans la gueule béante de l’entrée, innocente, persuadée d’une
nécessité, empressée même. Perversité du monstre. Quelle délectation ce doit
être, ces fournées de brebis volontaires, le syndrome de Stockholm n’est pas
loin… Celui de Stendhal par contre ! C’est sûr, l’overdose culturelle,
c’est pas son truc, au supermarché. Mais question fréquentation, le Louvre n’a
qu’à bien se tenir !
D’ailleurs
vous avez fait une étude précise, évalué le nombre d’entrées à la minute,
observé le rayon poissonnerie à la loupe. Rayon révélateur : plus de dix
individus attendent, ticket à la main, leur lot de saumon étrangement rose,
vous avez commis une erreur stratégique dans le parcours matinal, passez
directement à la case fruits, pesticidés et verts. Surtout qu’un malheureux octogénaire
imperméable au concept de « ticket » vient de réaliser qu’il
poireaute depuis un bon quart d’heure, son pacemaker risque de lâcher,
barrez-vous ! Flûte sa compagne essaye d’amadouer la balance et ses
rouages complexes … Fruits. Tomates. Tomates grappe. Tomates grappe Rita… Argh
elle s’est perdue à « fruits »… Re-flûte. Et si vous nourrissiez
Choupinet et Choupinette de chips-riz-pâtes-ketchup pendant une semaine ?
Allez, zou ! Il y va de votre santé mentale. Pour le moins.
Bilan :
pour survivre dans cette antre hostile, il est nécessaire d’éviter le créneau
10-11h, le samedi est à réserver aux compétiteurs ayant postulé à Koh-Lanta,
l’ouverture est envisageable, évidemment le jour des soldes est à oublier si
vous avez le moindre instinct de survie, la pause déjeuner est fréquentable,
vos homologues reprennent des forces.
Car les
courses, ça creuse, c’est du sport !
D’abord le
caddie. Votre instinct ne vous trompe jamais : 5, 8, 10 possibilités, peu
importe. Vous saurez choisir avec une constance désarmante celui qui grince,
qui couine, qui part sur la droite, qui a une roue défaillante, bref, celui qui
va prendre un plaisir sournois comme seuls en connaissent les caddies à faire
de vos emplettes une épreuve dont vos membres sortiront moulus. Vous avez
envisagé que des managers pervers ne proposent que des charriots branlants. Ils
iraient jusqu’à en prendre des tout beaux, tout neufs, tout bien roulants, et,
crac, un coup de tournevis, et crac, un bon coup de latte, et crac, un p’tit
coup de masse. Et pourquoi ? Parce qu’y a pas de raison. Par sens de
l’équité. Ils sont bien coincés dans ce lieu charmant toute la sainte journée,
eux. Ou par cupidité, ou perfectionnisme professionnel, comme vous
voulez : histoire de vous donner l’envie de dévaliser, assoiffée que vous
serez au bout de dix minutes d’un tel marathon, le rayon eaux aromatisées, ou
plus sûrement le rayon eau de vie pour noyer votre sentiment d’être poursuivie
par une fatalité terrifiante, en passant par le rayon chocolat, toujours pour
regonfler votre pauvre moi désarmé par l’hostilité constante de la ferraille
roulante… On achète plus quand on souffre. Mais non. Pas de solidarité dans la
souffrance. Le reste de l’humanité consommante avance, toute sérénité et
placidité, tenant adroitement d’une main un caddie fluide et obéissant, de l’autre le dernier flacon de
crème de framboise, celui-là même qui vous était indispensable pour votre
framboisine, parce que la framboisine à la crème de châtaigne c’est pas trop
ça…Enfin… le dieu du caddie ne vous a déjà pas à la bonne, si celui de la
framboisine s’y met…Seule consolation : les managers ne sont pas des
pervers.
Du moins
leur perversité ne va pas jusqu’au caddie… Parce que question rayon, c’est du
pervers, et du raffiné, du qui s’amuse !
On a le rayon
changeant. Vous cherchez les céréales préférées de Choupinet ? Elles sont
en face des biscuits, comme d’habitude. Eh non ! Surprise ! Les
petites cachottières, elles sont à côté des graines, vous savez les
distributeurs de noix, noisettes, amandes, pistaches qui veulent donner un air
bio aux dites graines… Oups, vos céréales étaient ici, elles sont passées par
là, côté chocolat. Re-oups. Vous avez tenté le rayon compote ? Pas
logique ? Franchement, peu importe, essayez, vous tournez comme un avion
en mal d’atterrissage depuis 10 bonnes minutes de toute façon…
On a le
rayon tentant. Immense. Lumineux. Coloré. Et en plein milieu du passage. Dès
votre arrivée. Alors, c’est vrai, vous n’avez toujours pas grandi, vos pieds
non plus. Mais franchement ce petit lot de dix paires de chaussettes made pas
in France pour une bagatelle de quinze euros, vous le sentez, il vous le faut.
Et, oh, merveille, juste à côté, fort à propos, six assortiments de nems pour
le prix de cinq! Est-ce bien raisonnable alors que Nounours vient de déclarer
une allergie aux crustacés ? Oh, allez, quand même, c’est une
affaire !
On a le
rayon bien placé. La litière. Juste avant les caisses bien sûr ! Pas
grave, le caddie a ce petit plus, bien pratique, juste dessous. Mince. Occupé
par un sac de terreau… Eh eh, il a aussi ce petit module qui s’avance, juste
sous la barre pour le diriger, vous voyez ? Ah zut. Les bières de Nounours
y sont déjà. Bon deux options. Soit vous apprenez au matou castré de 20 kilos
qui larve sur votre canapé à utiliser les toilettes. Une formation accélérée.
Soit vous écrasez tomates, brocolis et raisins. Croisez les doigts. Ils en
sortiront certainement indemnes. Certainement. Et où sont les œufs ?
Et vous
voilà. Tremblante. Attendant le verdict. Vous aviez un budget de… Il est
dépassé de… Mais nom d’un p’tit bonhomme, votre caddie récalcitrant est
vide ! Ou peu s’en faut.
Vous
sortez. Presque saine et presque sauve. Charger le coffre est un autre petit
bonheur du vendredi. Litres de lait, d’eau, de jus de fruits vous font rêver à
un avenir meilleur où l’on se nourrira enfin de minuscules pilules
synthétiques.
Vous
quittez le parking, non sans fierté. Cette semaine encore vous avez accompli
votre mission. Tiens. Un dos d’âne. Hum. Auriez-vous perdu votre pot
d’échappement ? Pourquoi la fierté ne rend-elle pas sourd ? Le dieu
de l’automobile n’aurait-il pas pu s’abstenir de choisir le vendredi pour se
manifester ?
Mais ceci
est un autre chapitre.
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