Le repas
La cuisine
est un lieu de convivialité, d’échange, de bonheur partagé. Sûrement. Vous
voulez bien le croire. Y a les pubs Kinder après tout.
Mais
franchement. Vous êtes tentée de croire à l’arnaque grossière, au mensonge
éhonté.
Parce que
vous en avez rêvé de cette pause réconfortante, où le cocon familial se noue
harmonieusement pour évincer les turpitudes du monde moderne, stressant et
oppressant. Les petits écoutent la journée des grands, s’amusent et
s’intéressent : papa est si drôle ! Les petits sont admiratifs, mais
n’oublient pas de déguster leurs papillotes de saumon, maman cuisine si
bien ! Attendant patiemment de narrer leurs propres aventures, ils
réclament poliment une deuxième assiettée de purée de brocolis, les mignons. Le
feu brûle doucement dans l’âtre, le chat ronronne…
Mais la
réalité… C’est une autre paire de couteaux.
Le volume
sonore déjà. Rien à voir : on ne s’entend pas. On commence par ne pas
entendre vos « à table » de moins en moins engageants. Il faut les
pimenter : « à taaaaable ou pas de DS demain ! ». La DS
c’est le dessert d’aujourd’hui… Choupinet boude vos carottes râpées, il a mieux
à faire : étourdir l’assemblée sous un déluge verbal. Si grand maman était
là, vous vous excuseriez platement : vous n’aviez pas le droit de taxer de
totalitaires ses mesures éducatives, vous étiez une adolescente demeurée, comme
toutes les adolescentes. C’était le bon sens, une simple question de
survie : un enfant doit demander la parole. Surtout à table. Et le parent
ne doit pas la lui donner. Jamais. Sinon il crée un précédent, et sa digestion
en sera inéluctablement perturbée. Vous ne parlez pas de ces malheureux dîners
où le parent à une donnée importante à communiquer à son compagnon d’infortune…
L’enfant saisit immédiatement l’opportunité et engage une conversation croisée.
Il a dû apprendre à parler sans respirer : aucune pause. Vous seriez
impressionnée si vous n’étiez en train d’hurler « taiiiisez-vous ou pas de
DS demain ! »…
Quand les
enfants sont aphones, il reste Nounours… La guerre du gras connaît peu de
rémission. Vous êtes seule, tenant bon pour conquérir un corps sain dans un
esprit sain. La gent masculine ne lâche rien, adepte du dieu gras, elle clame à
longueur de repas « Le gras, c’est le goût ! ». Et Choupinet
d’engloutir des tartines beurre-gruyère-mayo…
Vous vous
prenez à rêver de fast food, de pizzas, de chinois, de la bouffe qui se
commande quoi ! A la poubelle, l’équilibre alimentaire, la salade bio, le
veau élevé sous la mère ! Vous n’en pouvez plus des casseroles et autres
cocottes. Eplucher, mijoter, rissoler, dorer, gratiner, stop ! Les moues
dubitatives, les « beurk », les « encore ! », les
« j’aime pas » et autres « c’est froid », « c’est
trop chaud », « j’en ai trop », stop ! Ecoutez-les :
ils veulent de la cantine, pourquoi leur refuser les joies du steak haché et de
la frite molle ! Pourquoi vous obstiner ?
Une
réminiscence d’un fond de culture judéo-chrétienne ? Femme pécheresse,
vous devez payer. Vous aimez les pommes, eh bien cuisinez-les maintenant…
Nourrir Choupinet et Choupinette de bons et beaux légumes et fruits, c’est une
vraie gageure. Y parvenir est un réel exploit. Il faut user de ruses, vous
montrer retorse, oser le compromis, vous irez jusqu’à cacher le légume sous un
crumble de parmesan…
Mais votre punition ne s’achève pas là :
l’exploit quotidien, une drôle d’idée…Sans cesse sur le fourneau, remettre ses
casseroles… Faire preuve d’imagination, varier, mais avec mesure : vous
entendez encore le tollé qui a accueilli vos lasagnes saumon-épinards, les
rustres ! Quant à la soupe d’endives louée par moult internautes, elle a
suscité une avalanche de grimaces si impressionnantes qu’elle s’est rageusement
retrouvée propulsée dans l’évier…
L’année
vous apparaît parfois comme une longue et incessante suite de repas… Et votre
imagination s’arrête là où commence celle de Choupinette. Vous apportez, ravie,
ses petits pois préférés : elle ne peut plus les voir en peinture. Vous
l’invitez à participer à la confection d’une pizza : bel effort, mais elle
n’en mangera pas, elle déteste les champignons depuis ce matin. Vous comptez la
régaler du velouté qu’elle adore depuis le berceau : elle ne digère plus
la crème… Et voilà le piment qui épice vos dîners : menaces, punitions,
tandis qu’imperturbable Choupinette continue d’imiter le schtroumpf à lunettes
et que Choupinet lance des sorts à faire frémir Tusaisqui... Les enfants Kinder
n’ont pas tant d’imagination, ça non…
Mais ceci
est un autre chapitre.
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