La prise de sang
L’idée
suffit. Pas la peine d’y aller. Vous savez déjà que ça va être une franche
partie de rigolade. La poilade du siècle.
Surtout que
ce n’est pas pour vous. Ce serait trop simple. Quoique… Vous n’êtes pas une
grande grande fan de la prise de sang… Vos humeurs, aussi pourries
soient-elles, vous tenez à les garder. Non, la saignée, ce n’est pas votre
tasse de thé. Heureusement les labos de France et de Navarre arborent toujours
des affiches, repros, photos toutes plus croquignolesques les unes que les
autres…qui ont moult fois sauvé votre dignité : rien de tel que de se
concentrer consciencieusement sur le couple de chaton du calendrier postal pour
ne pas penser au stagiaire sadique qui plante rageusement pour la 5e
fois une aiguille à faire s’évanouir Gilles de Rais dans votre tendre petit
bras innocent…
Pour le
coup l’innocente victime sera… Choupinette…
Votre
Choupinette. Votre petite. Votre bébé. Votre douce et espiègle Choupinette.
Votre drôle et adorable Choupinette.
Choupinette
la douillette.
Qui
pourrait avouer sous la torture d’une piqûre de moustique être l’auteur de la
dernière vague de braquages parisiens. Qui est en mesure de briser du cristal,
façon Castafiore, quand on ose ôter le pansement qui orne depuis une bonne
semaine sa peau délicate. Qui préfèrerait vous mordre sauvagement, vous crever
les yeux, vous scalper à mains nues plutôt que de vous laisser approcher
l’épine qui la fait boiter depuis un bon mois. A noter : préparer une
épitaphe pour l’équipe médicale qui commettra la bévue de s’attaquer à cette
chose…
Et
l’ordonnance est longue, très longue. C’est pas de la p’tite prise de sang, non madame.
Mais vous
êtes une mère prévoyante… Vous avez longuement organisé l’épopée… J-15 :
passage au labo, dépôt et décryptage de la sibylline ordonnance, prise de
rendez-vous bien après le cours de danse, bien avant le cours de guitare….
J-7 : pharmacie n°1, pas de patch d’Emla sans ordonnance… J-7 :
pharmacie n°2, plus de patch… J-7 : pharmacie n°3, des patchs tant que
vous voulez…J-7 : vous retourneriez bien plastiquer la pharmacie n°1, mais
vous n’en avez plus le temps, l’heure de la sortie des classes va sonner…Jour
J : patchs anesthésiants : 2 ; BD préférée : 1 ;
bonbons : 10. Vous êtes parée !
Au labo,
par contre, c’est le chaos, l’anarchie, l’apocalypse ! Ils ont égaré
l’ordonnance bordel ! La longue, l’illisible… Et là, c’est l’erreur, la
boulette, la méga bévue… Au lieu de fuir en hurlant à l’incompétence, vous
prenez Choupinette sous un bras, vous courez jusqu’à votre jet…qui a
malheureusement tout l’air d’une vétuste twingo en mal de décharge… Et vous
foncez, autant que faire se peut, récupérer le double que vous avez classé dans
le dossier médical… Vous ne plaisantez pas avec la prévoyance, à noter :
avoir le double de l’ordonnance sur soi le jour J bordel !
Ambiance
sereine et détendue. Vous plaisantez avec Choupinette, inventez des charades,
jouez à « devine quel animal je suis » pour éviter une explosion de
son taux de stress. A moins que vous ne hurliez sur LE tracteur. Le perfide, le
planqué, celui que vous ne voyez jamais quand vous avez l’éternité pour
accomplir une mission aussi urgente et vitale que trouver une baguette et le programme
télé, celui qui vous attendait pour se jeter devant vous sur une minuscule
route toute en lacets et virages, celui qui ne dépasse pas le 15 km/h, celui
que vous allez copieusement insulter en vous arrachant les cheveux et en vous
maudissant d’avoir arrêté la nicotine…
Vous faites
enfin crisser les pneus sur votre parking, ouvrez la portière, la porte,
saisissez le dossier, attrapez l’ordonnance, claquez la porte, la portière.
Prête ? Foncez ! Un dos d’âne ? Un nouveau alors… Ou le vieux
matou de la voisine…Un coup d’œil dans le rétro…Choupinette est livide, cette
prise de sang va lui faire du bien. Oups, une mémé voulait traverser, canne
levée, elle vitupère avec virulence, une belle énergie à son âge,
chapeau !
Le labo,
vous y êtes ! Enfin ! Vous risquez d’être à l’heure au cours de
guitare… Choupinette ne semble pas partager votre bel enthousiasme. Aucun
chaton au mur pour la divertir, sa BD est oubliée sur le siège arrière, le
patch d’Emla est resté trop longtemps, il n’a plus d’effet, certes… Mais tout
de même, elle pourrait y mettre du sien…On lui a demandé de serrer le poing,
pas de mimer la transformation d’Hulk… Hurler l’empêche de profiter de votre
fort émouvante version de « Ne pleure pas Jeannette »… L’infirmier
vous suggère de la prendre sur vos genoux et de la maintenir fermement tandis
qu’il pique le 2e bras… Formidable. Il est mignon, mais oublie que
le mini-Hulk, vous allez le ramener chez vous après, qu’il sera adolescent un
jour, et qu’il a déjà une longue liste de reproches à vous faire…Pas la peine
d’en rajouter ! Il insiste, le bougre. Vous alliez pourtant entonner un
« Perrine était servante » ma foi fort divertissant…Vous oubliez et
obtempérez. Hulk n’est plus que pleurs, bave, cris et sanglots. Vous allez être
en retard pour sa guitare.
La séance
est finie. L’infirmier s’enfuit, le lâche. Hulk renifle en vous lançant des
regards torves et assassins. Vous êtes en retard pour sa guitare.
Mais ceci
est un autre chapitre.
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