Dormir
Quand vous
avez rencontré Nounours, il était beau, il était fort, il ne sentait pas le
sable chaud mais Farenheit et ça vous allait très bien, c’est quand même plus
raffiné.
Mais
voilà : vos jours sont plus beaux que vos nuits. Pourquoi ?
Pourquoi ?, vous demandez-vous (pas mon « vous », votre
« vous »). Parce que Nounours est un homme. L’homme ronfle. Donc Nounours
ronfle. Imparable. Ça remonte à Socrate cette théorie, rendez-vous compte. Bien
sûr, il s’est bien gardé de vous prévenir. Pire. Il a feinté, dissimulé.
Pensez-vous qu’il aurait imité le Boeing à l’atterrissage lors de votre toute
nouvelle, belle et reposante vie commune balbutiante ? Que nenni ! Nounours
est un homme. L’homme est retors. Donc Nounours est retors. Et puis l’amour
rend sourd.
Mais les
nuits, les mois, les années ont passé, et Nounours vous a montré son vrai visage,
plus précisément son appareil respiratoire. Une fois de temps en temps, au
début, pour ne pas vous affoler. Puis régulièrement pour vous habituer. Et de
plus en plus fort…
Alors vous
avez essayé de lutter. Vous avez sifflé : une méthode infaillible. Pour
d’autres certainement. Mais dans votre cas, c’est aussi efficace que
d’éradiquer des poux avec du bête shampooing : un arrêt furtif dans la
prolifération, une pause dans l’invasion le temps de réaliser la fatuité de la
tentative, et hop, belote et rebelote ! C’est reparti. Vous sifflez mal,
il faut l’avouer.
Autre
technique : le tourné-retourné. Essayée, bien sûr. Vous avez tournicoté
dans votre lit pendant des heures. Tout juste bon à susciter chez le ronfleur
des rêves de kangourous hystériques sous neuroleptiques. Au matin, vous avez
des cernes et un lit à refaire. Totalement inefficace.
Plus
radical, vous avez osé le petit coup sur l’épaule, assorti de l’évident « Nounours…tu
ronfles… » Euphémisme éhonté : il ne ronfle pas, il mugit, il rugit,
il tempête ! Qu’il ne le sache pas est tout bonnement hallucinant. Tout le
voisinage le sait. On frôle le tapage nocturne ! La plainte déposée par
des voisins ulcérés lui pend au nez. Même les fouines ont fui, écœurées :
elles préféraient le précédent proprio, un mec bien, calme, respectueux, juste
deux ou trois coups de balai quand elles rentraient de la chasse au mulot, mais
là, non, impossible de se vautrer dans la laine de verre en paix ! Nounours,
imperturbable, voix embuée d’un doux sommeil, s’étonne :
« Quoi ? » « Désolée, mon Nounours…tu ronfles… » Un
tel déni, inconcevable ! Rageur, il se retourne en faisant tressauter le
matelas, tel l’hippopotame dérangé dans sa baignade matinale. Non, mais c’est
complètement fou, ça ! Ça fait 2h35 mn et 40s, oui, ne pas dormir vous
permet d’avoir une conscience aigüe du temps qui passe : vous vous
sentiriez vieillir à vue d’œil pour un peu. Et au réveil, le miroir confirmera
vos soupçons. 2h35 mn et 40s donc, que vous subissez ses attaques sonores, et
c’est lui qui ronchonne ! Une telle impudence est tout bonnement…tout
bonnement…Vous en restez sans voix ! Et vous perdez une autre heure à
tournicoter, furibarde, sous la couette. Sans voix, Nounours ne l’est toujours
pas…
Le pire ce
sont les trêves… Enfin du silence. Il vous arrive de l’attendre dans le salon,
l’œil rouge et torve fixé sur un reportage animalier soporifique :
indifférente à la savane, sa faune et sa flore, vous rêvez des doux bras de
Morphée quand vous l’entendez, le silence…ça y est ! Vite ! Telle une
lionne à l’affût, vous bondissez sur l’aubaine et vous précipitez sur votre
oreiller : vous allez pouvoir sombrer en toute quiétude dans un sommeil
réparateur longuement espéré… Vous vous calez confortablement, réchauffez votre
moitié glacée de lit et vous apprêtez à lâcher prise, un sourire béat aux
lèvres. Mais voilà… Nounours est un homme. L’homme est perfide. Donc Nounours
est perfide. L’inconscience n’est qu’une excuse bien trop facile que vous ne
sauriez accepter : il a attendu le moment précis où vos paupières lourdes
commencent à fléchir pour faire redémarrer les moteurs. Doucement d’abord,
histoire de vous laisser quelques secondes encore un pauvre espoir. Puis en un
crescendo terrifiant. Adieu rêves, songes, repos…Même un cauchemar, vous seriez
preneuse. Mais non. Bonjour tourné-retourné et draps ulcérés.
Bien sûr,
vous avez testé les méthodes classiques : la boule Quies. Efficace, sobre,
alliée des étudiants en mal de révision et des épouses en mal de sommeil.
Lucide, vous ne vous êtes pas tournée vers de la bête boule en mousse, non,
vous avez vu grand, à l’image des dérapages nocturnes de Nounours. Moulage de
vos conduits auditifs, 15 jours d’attente, et vous voilà munie de boules sur
mesure et de promesses de nuits calmes alléchantes. Vous êtes ravies de
votre investissement : elles sont belles, vos boules, lavables,
colorées.., ma-gni-fiques ! Une bleue, une rouge, comme pour vos semelles
de chaussures quand vous n’étiez pas en âge de distinguer votre gauche de votre
droite...ça a duré cette période…encore maintenant, il vous arrive d’avoir de
cruelles hésitations… Passons, vous vous savez imparfaite, c’est là votre
moindre défaut. Vous attendez donc avec impatience la tombée de la nuit, aussi
excitée qu’une demi-douzaine de marmots un 24 décembre.
Bain,
repas, brossage des quenottes, lecture du soir…ça approche ! Nounours suit
de peu le coucher de Choupinet et Choupinette, il est épuisé :
parfait ! Plus il est fatigué, plus il ronfle : c’est imparable, ça
doit même avoir un lien tout à fait explicable scientifiquement tellement c’est
imparable. Vous vous pencherez sur la question quand vous aurez dormi. Vous
patientez, gourmande, salivez en percevant les prémices d’un épisode ronflesque
aux allures de tremblement de terre : parfait ! Vous vous préparez
sereinement et vous munissez de vos splendides boules. Vous approchez à pas de
velours du lit, soucieuse de ne pas perturber le cours des rugissements nasaux,
la boule bleue dans la main gauche, la rouge dans la droite…ça y est, vous êtes
prête ! Tiens… c’est bizarre…ce sont vos oreilles ou, traumatisée, vous
entendez des ronflements dans votre tête ? On vous avait bien dit la bleue
à gauche, la rouge à droite ? Réessayez. Non, vous n’avez pas commis d’erreur…
Enfoncez pour voir. Non, pas plus loin, vous les récupèrerez jamais, ces
saloperies en plastique. Vous ne rêvez pas, vous les entendez toujours, ces
ronflements. D’ailleurs, vous ne dormez pas, vous ne dormirez pas… Il est
minuit. L’heure du crime.
Mais ceci
est un autre chapitre.
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