Faut pas prendre les cons pour des gens (partie 3)
Vous auriez préféré ne pas entendre Pap Ndiaye annoncer que revaloriser les salaires des enseignants va passer par de nouvelles missions. Comme surveiller la cour. Pour éviter les incivilités.
C’est tellement…
Déjà vu ? On le sait, que le prof est un gros glandeur, qui passe son temps à se gaver de fraises au lieu de les ramasser. Bien évidemment, les parents vont être ravis. Eux qui ont des vrais boulots. Eux qui savent vraiment ce que c’est de trimer. Bien évidemment, que les gosses sont des teignes perfides, cruelles et dopées aux hormones qu’il faut surveiller comme le lait sur l’Etna, les parents sont très bien placés pour le savoir. Lâcher dix secondes du regard Kévin et il capable de mettre son frère dans la machine à laver et de jeter le chat par le balcon. Ou l’inverse. Tout en hurlant des expressions effrayantes. Comme « va manger tes morts ! » Il paraît que ça arrive à des gens très bien… Si. Peut-être que Kévin a un avenir de député. Si on le surveille bien.
Bien évidemment, c’est une excellente proposition.
Un peu décevante par manque d’ambition et d’originalité. Le prof, son truc, c’est le savoir, il aime apprendre. Alors allons-y. Multiplions les nouveaux apprentissages. Corvée de pluches, service de la purée, plonge, nettoyer les salles, et les couloirs. Tout en surveillant… Malin. Gérer les absences. Surveiller d’un œil l’avancement d’un exercice, épousseter la bibliothèque d’une main, en envoyant de l’autre un SMS pour savoir si Ulysse a été terrassé par un monumental virus ou a été arrêté par une monstrueuse flemme avant d’arriver à bon port. Conduire les bus. Aider aux devoirs. Et une histoire, les dents, pipi, au lit ? Pourquoi pas !
On ferait des économies sur les postes de surveillants, de CPE, d’agents de maintenance… Des jobs déjà pas méga valorisés…
D’ailleurs, entendons-nous bien. Non, pas jusqu’à se faire un apéro Blanc manger coco. Que veut donc dire ce mot brillant de mille feux et promesses ? Revaloriser…
Augmenter la valeur, ou redonner la valeur perdue. Mais… Quel est le rapport avec surveiller la cour ? Une fin de mois plus… Moins… Enfin… On risque d’être loin d’une augmentation de 57 % à la Total. Il est vrai qu’aucun prof n’a vu son revenu de 6 millions passer à 4. D’où la nécessité de s’augmenter après. Logique. C’est drôlement dur de réduire son train de vie de 2 millions ! Ils sont marrants, les pauvres, ils ne se rendent pas compte de ce que c’est que d’avoir de gros problèmes ! Réduire son budget de deux millions, c’est autre chose qu’hésiter entre un kilo de nouilles 1er prix ou des nouilles ʺpouceʺ…
Question chiffres et budget, Pap a eu une autre idée qui vous donne des envies d’étendues glacées : le retour des mathématiques en première. Pour tout le monde. Y compris les malheureux qui préfèrent inéluctablement Racine aux racines carrées.
Mesure très populaire, comme la précédente : le quidam exècre la feignasse enseignante et adore cette discipline reine que sont les mathématiques. Toutefois cette mesure nécessite un petit calcul. Un calcul où on diviserait un nombre d’élèves par 35, puis on multiplierait par 1.5. Bref. Bref, c’est ce qui qualifie avec le plus de justesse vos capacités mathématiques. Bref, donc, on obtient un nombre de professeurs. Qu’à cela ne tienne. Que diriez-vous d’un job dating ? Ou de revaloriser à coups d’heures supplémentaires ? Certes, travailler plus pour gagner plus, c’est du réchauffé. Mais n’est-ce pas dans les vieux pots qu’on fait les meilleures réformes indigestes ?
Pauvre vieux Mammouth… Tellement réformé que le nombre de chirurgies subies par Joan Rivers, à côté, c’est de la roupie de sansonnet. Et, comme pour le bistouri, le maniement de la réforme est délicat, le résultat trop souvent inquiétant, et l’abus dangereux. Il semblerait que le mammouth éducatif y laisse des poils à force. De là à imaginer que d’aucuns songent à le faire disparaître…
Ainsi, vous avez récemment eu une étrange et édifiante conversation avec une enseignante de Choupinette. Comme vous évoquiez les effets de la réforme Blanquer et le choix des spécialités en première, elle vous a répondu qu’elle ne voulait faire cours qu’en seconde. Pourquoi ?
Parce que c’est trop dur de voir les élèves plus broyés par les programmes que le noir un dimanche soir froid et pluvieux de novembre. La comparaison est de votre fait : l’enseignante, charmante au demeurant, étant plus racines que Racine. Parce que la disparition de la notion de classe, la multiplication des spécialités, les examens en mars, les programmes qu’il faut s’avaler comme un canard gavé avec force et cruauté, elle s’y refuse.
Et cela se comprend.
Une semaine plus tard, le conseil de classe de Choupinet s’ouvrira sur la prise de parole d’un enseignant qui tient à ce que soit notifié que ce conseil est une mascarade inepte, où l’on donnera toutefois un avis sur la poursuite d’études des élèves : personnellement, il n’a que cinq élèves dans la classe. D’autres en ont deux. Et il n’est pas prof d’une obscure matière, genre macramé sur peau de chevreuil, non. Physique. Remobilisons vos hautes capacités mathématiques. Six classes, au minimum, trente élèves par groupe, une moyenne de cinq élèves dispatchés par prof… Trente divisé par cinq, multiplié par six, ça nous fait trente-six ! Autant que le nombre d’enseignants qui étaient inscrits à ce conseil si tous les élèves avaient été représentés… Plus que le nombre d’élèves de la classe ! Bien plus que le nombre de jours dans un mois, et encore faudrait-il faire des conseils de classe le samedi et le dimanche… Une bonne idée, hein Pap ? Après tout, guider les élèves vers de futures études de médecins, informaticiens, youtubeurs, c’est pas rien. Si ?
Autre classe, autre ambiance : le professeur principal, toujours pas prof d’enfilage de perles, mais de physique, obscure spécialité donc, ne connaît que cinq des élèves de la classe dont il va présider le conseil… Quelle merveilleuse réforme. Aux jeux olympiques du bousillage en règle de l’éducation, qui n’existent pas, du moins officiellement, Jean Mich’ a la palme d’or. Pour l’instant…
Voilà pourquoi vous allez vous réorienter fissa : bureau de poste de Lockroy, à nous deux !
Mais ceci est un autre chapitre…
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