Des travaux, trous, somnifères (partie 5)
Un souci ? Quel souci ?
Vous vous apprêtez à vous lancer dans un interrogatoire,
avec force gestes, de l’Hirsute, mais… Trop tard. L’Hirsute est vif. Et déjà
parti. Hors de portée de vos gestes traduisant maladroitement vos questions,
hors de portées de main qui pourrait devenir leste, hors de portée de cris,
hors de portée de vos inquiétudes. Vous devriez songer à faire quelque chose.
Pour vos inquiétudes. Ou votre plafond. On va commencer par celui-ci : vos
inquiétudes vous accompagnent depuis votre plus jeune âge, vous avez tissé des
liens qu’il serait ardu de démêler, et ils sont solides. Contrairement à votre
plafond. Troué.
Oui. Troué.
Pas un cratère. Pas un abîme. Mais… Un trou. Visible.
Suffisamment pour ne pas passer inaperçu et ne pas donner envie de monter d’un
étage et de marcher dans feu votre salle de bain, sur son feu carrelage :
à moins d’être suicidaire. Troué, votre sol a tout l’air d’être traversable, le
genre de sol qui nargue l’intrépide qui voudrait y poser le pied : allez,
vas-y si tu l’oses, tu tiens à ton mollet, Indiana Jones de pacotille ?
Vous n’êtes pas une grande fan de vos mollets, pas assez fins, pas assez
élancés, trop poilus, mais bon, tout de même… Ce sont vos mollets, ils vous
sont de quelque utilité…
Le positif ? Toujours voir le positif. Pas de
poussière. Pas beaucoup, que des débris de plancher aisément aspirés et un
carrelage à laver : malheureusement un seul passage de l’Hirsute a suffi…
Par ailleurs, si vous avez besoin de shampooings quand vous tapez votre
déclaration d’impôt, hop une main tendue de Choupinette (Choupinette est d’un
naturel serviable : passer le sel, le pot d’eau, elle adore : alors pourquoi
pas du shampooing ?), et vous êtes exaucée, suffit de demander. De même, si
elle souhaite une agrafeuse quand elle se lave les dents, il vous suffit de
lever le bras : il est important d’encourager l’enfant toujours prêt à rendre
service en lui rendant la pareille. On ne louera jamais assez les vertus de
l’exemple. Vous recoiffez quand vous réglez en ligne la contravention de
Nounours pour laquelle il vous a éhontément dénoncée, entretenant sans
vergogne le fallacieux adage « femme au volant, femme au tournant » (c’est
pas ça ?)? Trop facile. Plus besoin de changer d’étage. Ce trou est trop
pratique.
Et c’est une mine pour l’imagination débridée de Choupinet
et Choupinette : vous voyez déjà passer des cohortes de Playmobil, Lego,
voiturettes, masking tape, messages codés, accrochés à une cordelette. Sans
compter un trafic de sucettes. Des chutes de stylo. Des expériences à faire
pâlir d’envie ce bon vieux Newton. Et encore, votre imagination n’arrive
pas à l’orteil de celle de votre progéniture. Ce trou, c’est une aubaine : ils
vont assurément faire des découvertes qui changeront le sort de l’humanité,
vous apporteront luxe, calme et volupté, au moins jusqu’à leurs dix-huit ans.
Ce trou, c’est la fin du corona virus, la résurrection de la forêt amazonienne,
la fin des incendies en Australie. Pour le moins.
Et si Croquette daigne admettre que l’Apocalypse n’est pas
pour aujourd’hui, il est fort probable qu’il trouve tout à fait distrayant cet
orifice par lequel il pourra passer la patte pour attraper la chevelure du malheureux
qui s’aventurera à sa portée. Plus sûr encore, Choupinet et Choupinette sauront
faire percevoir à votre infortuné félin tout le potentiel ludique de cet
interstice. Il est moins certain, il faut bien en convenir, que Croquette
apprécie pleinement de se retrouver la queue lestée d’objets divers, battant
furieusement entre deux étages... Le sens de l’humour, c’est ce qui sépare
irrémédiablement minet de vos chérubins.
Mieux encore. Ce trou est une mine, une manne, un véritable
filon. Réfléchissez. La chambre de Choupinette et la salle de bain ne sont
séparées que par une modeste cloison (on en reparlera, n’ayez crainte.
Enfin...). Le plancher des deux pièces est commun. C’est simple : ce trou,
c’est une opportunité sans pareille pour anéantir le plancher de la chambre de
Choupinette. Qui donne, sur l’escalier qui conduit du salon au premier étage.
Hirsute est un génie : trouer le plancher de la salle de bain, c’est trouer le
plancher de la chambre qui troue l’escalier qui troue le carrelage du salon.
Hirsute vient d’inventer l’Andromaque du trou. Vous allez rénover toute la
maison. Le patron d’Hirsute doit bien avoir une assurance... Quoi? L’Andromaque
du trou? L’expression est chouette non? N’en déplaise à Racine. Une
explication? Allez, vous êtes bonne fille et d’excellente humeur, maintenant
que vous saisissez que vous allez sous peu être propriétaire d’une maison toute
neuve. Andromaque, c’est une pièce (pas d’eau, ah ah!) d’une chaîne amoureuse à
sens unique : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui
aime Hector qui est mort. Cool, hein? Suffit de remplacer aimer par trouer, et
tout s’éclaire. Certes, d’un jour qui n’est pas forcément glorieux, et
vraisemblablement d’un goût peu janséniste, mais bon, par amitié pour A, vous ne
pouvez effacer cette association de votre trouble esprit.
Si le
passage de l’hirsute est éphémère et pauvre en poussière, il n’en est pas moins
riche en marques de souliers. Cinq minutes de travaux, une heure de ménage, ça
c’est une journée rentable…
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