Des travaux, du bruit, de la poussière (épisode 3)
Jour 1
À une heure où vous avez encore grandement besoin de café
étroitement serré, vous ouvrez votre porte au Patron et trois acolytes. Le
point sur le chantier fait, les acolytes s’empressent de transformer votre
maison, votre nid propre et douillet, en chantier. C’était certainement l’objet
du point susmentionné. Et un passage obligé, reconnaissez-le.
Certes mais la différence entre théorie et pratique…
En théorie, vous auriez aimé observer les dauphins. En
pratique, respirer grâce à une bouteille d’oxygène, nager dans une eau si
profonde qu’il n’est pas exclu que des mâchoires maritimes n’attendent que
votre venue pour se faire un petit casse-dalle, vous terrifie. En théorie, vous
voudriez rédiger des mémoires pleines de sagesse et d’aventures. En pratique
vous passez autant de temps à fumer qu’à fulminer, on n’est pas prêt de vous
citer dans une copie de BAC (quoi que, au rythme où vont les réformes…). En
théorie, votre croissance aurait dû vous mener jusqu’au mètre soixante-dix,
vous donnant une allure tout simplement altière avec votre longue chevelure
châtain aux chauds reflets auburn. En pratique… Oui, bon, on a compris…
Ça perce, ça frappe, ça arrache. Vous ne voulez qu’une
chose : ne pas être là. Ailleurs. Loin. Un lieu calme. Vous faites
volontiers une croix sur luxe et volupté. Mais du calme, bordel ! Bon. Vos
souhaits, tout comme vos résolutions du nouvel an, c’est n’importe quoi,
illogisme et compagnie : vous ne ferez croire à personne, pas même à vous,
que vous aviez imaginé des travaux sans bruit et sans gravats. N’empêche, ce
serait chouette de pouvoir tortiller du nez et qu’instantanément vos salles de
bain soient rutilantes. Les dégâts que cette fieffée Samantha a pu causer sur
la construction de votre moi… Terrible… Au fait, en bonne sorcière,
n’avait-elle pas un chat ? Car, à défaut de trémoussements nasaux
magiques, vous êtes dotée de ce fier et indispensable compagnon. Non, pas le
balai…
Où est Croquette ? Comment vit-il cette intrusion sur
son terrain ?
Fort bien. Comme tout félin, il raffole de voir son univers
envahi, foulé par des humains aux bottes boueuses (ça, en vrai, il s’en cogne,
mais pas vous…) et aux odeurs inconnues, des humains qui se fichent de stimuler
en douceur ses sens.
Vous débusquez Croquette dans le sèche-linge, inconscient du
risque qu’il court. Heureusement Choupinet et Choupinette sont à l’école et ne
peuvent donc pas réaliser l’expérience qui n’aurait pas manqué de leur
traverser l’esprit : faire sécher le chat. Qu’il n’ait pas mis le museau
dehors et soit aussi sec qu’un raisin ne les aurait pas arrêtés. Tétanisé,
Croquette ne miaule même pas. Vous lui ouvrez les portes de la liberté avec
force exhortation à sortir, rien n’y fait. Même agiter le sachet de son pâté adoré,
celui-là même qui, chaque soir, suscite un entrelacement hypocritement
ronronnant dans vos jambes, quitte à ce que vous vous étaliez au sol, n’a aucun
effet. Croquette est terrifié et refuse de franchir les mètres qui le sépare de
la cour : il craint visiblement d’être attaqué le temps de cette course
par un molosse, un éléphant ou un rat géant.
Sa vie de chat vient de prendre un tournant. De ses sept
vies légendaires, il en a au moins perdu deux en moins d’une journée. Crise
cardiaque. Et c’est passé inaperçu. Désormais, dans cette maison, sa maison, tout
peut arriver. Surtout le pire.
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