U. S. : Casino (fin)


Deux bœufs et une rivière de soda plus tard, vous quittez lourdement votre table pour approcher celle des jeux. À l’idée de gagner de l’argent par le jeu, la curiosité de Choupinet s’est largement éveillée. Vous allez ramer pour lui faire entendre qu’il ne peut pas se servir copieusement dans la tirelire de Choupinette car il a réussi à constituer cinq des sept familles du jeu. Mais trêve d’anticipation sur les complications futures. Nounours tente d’expliquer les règles du Black-jack à un Choupinet fasciné. Une explication qui restera heureusement fumeuse : il ne faut pas plus de cinq secondes à un vigile pour vous suggérer, carrure à l’appui, de ne pas rester à admirer le tapis vert et la dextérité du croupier. Pourquoi ? Parce que Choupinet.
Eh oui… Les américains ne sont pas que les rois du burger, ils sont aussi champions en hypocrisie…
Le casino est en effet un hôtel. Les familles y sont tout à fait bienvenues. Vous n’avez aucunement fait votre réservation en mentant éhontément sur l’âge de Choupinet et Choupinette. Vous ne les avez pas, non plus, faits pénétrer en ce lieu clandestinement, planqués dans la glacière. De toute façon, Choupinette aurait protesté, impossible de ne pas se faire griller… Ces dernières années, il semblerait d’ailleurs qu’inciter ses enfants à jouer à cache-cache dans un lieu petit, clos et froid ne soit pas une idée lumineuse… C’est un coup à partir en vacances et découvrir à son retour une panne d’électricité après deux semaines d’absence : la catastrophe assurée.
Non, enfants, colts et animaux domestiques sont pleinement autorisés. L’hôtel possède d’ailleurs une piscine pour que parents et enfants s’ébattent joyeusement après avoir dîné. Au regard de votre expérience au steakhouse, il est vrai que cela peut se terminer en un joyeux concours d’hydrocution et qu’une initiation au poker peut sembler moins dangereuse. Mais un casino, c’est magique. Tellement magique que les enfants n’ont pas le droit de regarder. Ils pourraient vite devenir accros. Alors, se noyer pendant que papa ruine sa famille, oui. Regarder, non.
À moins que ce soit moins une question d’accoutumance que de solvabilité.  Un truc du genre : pas de dollars, pas de regard. Car les accros, ce n’est pas ce qui manque. On les attend même, on les chouchoute et on les choie. Une fois qu’ils ont franchi les portes du casino, ils n’auront plus aucune raison d’en sortir. Jusqu’à leur dernier centime.
Ils peuvent dormir, manger, jouer au tennis, organiser une conférence, laver leur linge et jouer, jouer, jouer, jouer dans le casino, son hôtel et ses boutiques. Ils peuvent même, laissant s’exprimer la part féminine qui sommeille en tout spécimen masculin, faire deux choses à la fois… Par exemple boire un verre au bar et  faire une partie de poker (faire une lessive et à manger, c’est quand la part féminine est très très très forte). Pour ne point brimer cette expression du féminin, de petites machines ont fort judicieusement été incrustées dans le comptoir, devant chaque tabouret.
Dans un casino, il faut vous rendre à l’évidence, on peut tout faire. Y compris vieillir.
Le nombre de vieux au kilomètre carré est hallucinant. Le Nevada n’a nul besoin d’investir dans des EHPAD : son septième âge est trop occupé à flamber pour avoir besoin de soins. Il y a même des fauteuils roulants miniatures, ou, plutôt, des chaises motorisées. Avec un petit panier devant, pour des gains futurs (il n’y a pas d’âge pour rêver) ou une envie d’un bidon de soda, histoire que les impotents, que ce soit en raison de l’arthrose ou de l’abus de cheese cake arrosé de float (un déroutant mélange de Coca et de glace vanille que seul un américain pouvait inventer. Le float goût bacon ne devrait pas tarder à voir le jour…), ne soient pas privés de jeu.



Après une nuit peuplée d’étoiles au néon, d’as de pique et de fers à cheval, dès huit heures, plein de l’énergie que vous leur enviez, Choupinet et Choupinette n’ont qu’une obsession : tester la piscine ! Mais où est-elle ? Mystère… Du méandre d’étages et de salles, vous avez clairement identifié l’emplacement des tables de craps, de baccara, la roulette et les incontournables bandits manchots, le steakhouse de Nounours : tout cela est clairement indiqué. Mais la piscine…
Fort heureusement, les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur une charmante famille en maillots de bain, serviettes à l’épaule et lunettes de piscine à la main. Cool. Le tout n’est pas des plus seyants, mais ils ne se rendent visiblement pas à la fashion week et s’assoient confortablement, leur morphologie le permet, sur les règles élémentaires de décence. Vous n’avez plus qu’à les suivre discrètement.
Un jour, il vous faudra songer à expliquer à Choupinette que discrétion et trépignements bondissants ne sont pas des masses compatibles. Vous avez de la chance : la famille que vous pistez semble pleinement concentrée sur son objectif et ne s’alarme point de la petite grenouille hurlante qui bondit tout autour d’eux. Ouf.
Mauvaise pioche. Ils doivent être originaires de l’Oregon, du Texas, du Montana ou de tout autre état américain : ce ne sont pas des touristes qui se sont aventurés à la découverte d’une nation autre. La preuve ?
Avant de nager, ils font une pause au Burger du casino. On ne sait jamais. Il faut parer à tout risque d’inanition pour les seize heures à venir… Vu les assiettes servies, de la piscine, ils n’approcheront que les transats. Le problème de l’inanition étant résolu, il ne faut pas oublier le risque d’hydrocution. Et, pour tromper l’attente au soleil, un autre hamburger sera une absolue nécessité. Pas de souci, au bord de la piscine (qu’un employé finira par vous indiquer, dissimulée au terme d’un périple labyrinthique), se trouve une guérite qui pourvoira à tout besoin en donuts, soda, ice cream… Regarder les européens nager, ça creuse.

Ceci dit, à huit heures, d’autres sont déjà accrochés au manche de leur bandit… ou toujours accrochés. Ont-ils seulement dormi ? Entre deux accoutumances, vous ne savez laquelle vilipender en premier. Vaut-il mieux être accro à la bouffe ou aux jeux d’argent ?
Pourquoi choisir ? On peut fort bien pratiquer les deux. On peut même flamber en fumant…
Oui. En 2018. Alors que les paquets s’ornent de messages terrifiants et d’images répugnantes, alors qu’on ne peut plus entretenir son cancer tranquillement et en mourir en s’exclamant « Comment ??? Mais je ne savais pas !!! », alors qu’on ne peut plus se détruire en paix donc, le casino est une petite bulle d’air. Enfumé, l’air.
Oui. Le casino est un paradis privilégié où l’on peut exercer sa liberté de cloper,  et on a le droit de choyer son cancer du poumon en public. Dans une salle fermée qui plus est.

Vous en rêviez ? L’Amérique l’a fait. Vous n’en rêviez plus ? L’Amérique le fait quand même. Vous n’en rêvez pas encore ? L’Amérique le fait déjà.
Fascinant.
Vous traversez la pièce, traînée par une Choupinette qui vous félicite d’avoir mis fin à cette ignoble habitude. Tête en arrière, narines frémissantes, vous humez ce terrible parfum de vieux tabac froid. Un délice.
Un jour, vous aimeriez comprendre l’emprise mystérieuse que ces petits bouts de papier fourrés au goudron, au mercure et autres joyeusetés peuvent exercer sur votre faible esprit… L’asphalte ne vous fait pas cet effet-là pourtant. Jamais, non plus, vous n’avez eu une envie irrépressible de péter un thermomètre pour en sniffer le contenu… Mystère…

Mais ceci est un autre chapitre.



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