L'opération (partie 2)


Mitigés. Peu concluants. Ambivalents. Ambigus. Voilà ce que sont vos résultats. À l’agrég, au moins, c’est clair… Tout ça pour ça. Vous réalisez, petite naïve, que la malignité est une certitude, la bénignité, elle, est toujours sujette à caution : suffit que la maligne se soit bien planquée, que l’aiguille soit passée à côté…Vous voilà bien. Damoclès est de retour.
Vous prenez rendez-vous avec un spécialiste, un endocrinologue, un spécialiste des boules quoi… Magnifique : il n’a pas de blouse et il parle. Peut-être parce qu’il n’a pas revêtu sa blouse… Il vous explique donc vos options. Soit on ponctionne, on ponctionne, on ponctionne. Régulièrement. En traduisant avec optimisme le « pas concluant » en « jusqu’ici tout va bien ». Soit on ablationne. Et là, exit les boules, on saura qui du malin ou du bénin l’emporte.  Bon. À vous de choisir.
Quoi ? À vous ? Mais… C’est que… les jours pairs vous ponctionneriez bien… et les impairs vos ablationneriez bien…ça dépend… De vos angoisses, de vos humeurs, de la météo… Pourquoi le spécialiste ne tranche-t-il pas ? Il aime ça, trancher, c’est son métier…Votre garagiste, il change la tête de delco sans vous demander ce que vous en pensez : c’est lui, le spécialiste. Vous lui faites confiance. Comme à votre banquier. Votre dentiste. Certes, vous ne devriez peut-être pas… Mais là, vous n’y connaissez vraiment rien en boules, en bagnole non plus à vrai dire… ça sent le plan à la Pilate : vous tranchez et l’exécutant s’en lave les mains, il ne fait qu’obéir.
Vous tergiversez, consultez et re-consultez votre entourage. Dans votre déconcertante incertitude, vous compulsez même internet, boulette des boulettes : on trouve de tout en ce puits d’informations, du bon et du moins bon. Surtout du moins bon. Du rassurant et de l’inquiétant. Surtout de l’inquiétant.
Lasse des témoignages affligeants, tant quant à leur orthographe qu’à votre moral, vous rappelez le chirurgien et lui donnez le permis de couper.
Vous faites alors connaissance de l’anesthésiste. Qui a l’outrecuidance de vous poser des questions des plus indiscrètes. Âge ? Vous en êtes à celui où il serait temps de mentir sur quelques années… Poids ? Celui dont vous rêvez ou celui que vous redécouvrez sombrement chaque matin ? Cigarette ? Si peu… Alcool ? Presque jamais… Opérations antérieures ? Vous raconteriez bien le traumatisme des dents de sagesse, vous avez un souvenir très net de l’anesthésie locale s’estompant bien avant la fin de l’extraction… Et votre appendicite en pleine période de gastro, vous ne risquez pas de l’oublier ! Le médecin était débordé, avait tardé, et vous voilà au bord de la péritonite… Non. L’homme du sommeil veut des dates. Vous qui avez toujours été brouillée avec les chiffres… Vos problèmes de mémoire n’ont pas l’heur de l’émouvoir. Il est du genre à endormir sans souhaiter bonne nuit… On peut choisir son anesthésiste ? Apparemment non…Il ne vous reste plus qu’à retranscrire vos approximations sur une foultitude de documents, le papier a encore de beaux jours devant lui…
Pas comme vos boules. Leur heure a sonné. Pour de sombres raisons budgétaires, vous vous transformez en infirmière à domicile chassant la bactérie et autre nid à infection nosocomiale. Vous lessivez et re-lessivez, draps, serviettes. Vous vous changez et vous re-changez. Vous shampooinez Bétadine, savonnez Bétadine. C’est bien simple vous pensez Bétadine. Votre univers prend une teinte Bétadine, pire, un parfum Bétadine : vous êtes prête pour pénétrer dans l’univers hospitalier.
Hospitalier, c’est vite dit. Ça fait bien longtemps que la harpie à l’entrée a oublié le sens du mot accueil. Elle aboie un engageant « 4e étage ! C’est écrit, là, à côté de l’ascenseur ! Savez pas lire ?! » Bah si… Mais là, vous êtes toute émotionnée à l’idée d’abandonner vos boules, vous commenciez à vous attacher, vous pourriez fuir telle la gazelle talonnée par le fauve affamé ? Inutile. Vous n’avez pas la célérité de l’antilope et vous portez des talons bêtement inappropriés pour une course effrénée. Méduse vous suit d’un œil torve vous diriger à pas menus vers le fatidique ascenseur. Vous auriez dû venir avec maman. Un des pouvoirs bénéfiques du lieu, c’est que vous rajeunissez à vue d’œil, dans deux secondes vous allez réclamer votre nin-nin…
Vous atteignez le 4e étage et vous vous installez dans une chambre que vous occupez seule, pour l’instant. C’est heureux car une infirmière vous signale que vous devez abandonner bijoux et lentilles et elle vous intime de surcroît l’ordre d’être nue sous votre blouse. Nue… Nue ? Vraiment nue? Pourquoi ? Vous n’êtes pas venue pour une ablation des ovaires…Vous aviez choisi des sous-vêtements très sobres, très hospitaliers, c’est ballot. Vous avez toujours été une petite fille obéissante : vous obtempérez. Si vous étiez d’humeur moins enjouée, vous songeriez à ces camps où la nudité ôtait toute humanité aux victimes et vous sentiriez fort démunie. Si vous aviez l’esprit moins léger, vous vous interrogeriez quant à l’appellation « blouse d’hôpital »…. « Blouse », cette chose qui laisse apercevoir votre postérieur ? L’envie pourrait vous tarauder de relire la charte du patient… Dignité, mon cul ! Heureusement vous n’avez pas la tête aux parallèles historiques farfelus ou aux recherches lexicales poussées. Le brancardier déboule et vous déployez des trésors d’habileté pour ne pas dévoiler votre anatomie inopinément.


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