L'opération (partie 1)



On est en septembre.
Est venu le temps des feuilles qui tombent et des activités qui bourgeonnent. Choupinet et Choupinette ont besoin de certificats certifiant qu’ils ont bien d’autres aptitudes que vous épuiser, tyranniser le chat et ingurgiter des kilos de bonbons. Vous vous rendez donc tous trois avec allégresse et carte bleue chez le généraliste. Un nouveau.
Miracle : la salle d’attente est vide. C’est le genre de surprise qui vous place tout de suite à 8.5 sur l’échelle du bonheur ! Vous entrez donc dans le cabinet, extatique.
Le médecin commence par Choupinet qui se met à discourir avec son entrain habituel sur le judo et ses rêves de ceintures bariolées. Mesure et pesée du bestiau. Toujours aussi svelte le Choupinet : ce n’est pas faute d’ingurgiter des assiettées gargantuesques ! Faites de même et vous atteindrez le quintal. Lui se contente de grandir, l’animal. Allez, apte.
Au tour de Choupinette. Mesure, pesée. Aucune remarque sur sa langue bien pendue : bienveillant, le médecin. Allez, apte. Voilà une affaire rondement menée. Vous sortez votre carte, suspendez votre geste : le médecin vous regarde d’un œil noisette circonspect. Aurait-il perçu la propension anormale de vos rejetons à occuper le temps de parole ? ça se soignerait ? ! Merveilleux !
Non, il s’interroge quant à votre cou. Oui, vous le savez, fin et gracile, il est en tout point remarquable. Non ? Les deux boules ? Quelles boules ? Impossible, vous les auriez remarquées. On ne déambule pas avec un cou à deux boules sans le savoir tout de même ! Si ? Bon, vous daignez lui concéder un examen impromptu. Ah, oui, l’homme de l’art a un œil de lynx, vous les percevez maintenant, ces boules, palpées débonnairement. Elles suscitent clairement un intérêt que la courbe de croissance de Choupinet n’a su éveiller.
Vous sortez avec deux certificats et une ordonnance : la ponction s’impose, on ne s’attribue pas ainsi des attributs masculins.
D’autant que, maintenant, vous ne voyez plus qu’elles : dès potron minet vos boules vous sautent aux yeux. Au moins vous n’êtes plus agressée par vos rides qui prolifèrent à la vitesse des moisissures dans une cave idéalement humide. Vous n’êtes plus atterrée par tout ce sel dont un farceur à l’humour douteux a aspergé votre chevelure. Non. Vous ne voyez plus qu’elles : vos boules. Écharpe, foulard, col roulé : rien n’y fait, elles sont là. Et avec elles, une question lancinante : si, non contentes d’être grosses, ces boules étaient malignes.
Comme les questions lancinantes à la Damoclès, c’est pas trop votre carré de chocolat, vous prenez rapidement rendez-vous pour une ponction. Vous voilà installée dans la salle d’attente. Une salle d’attente, c’est comme consulter un Vidal, plus on s’y attarde et plus on multiplie les symptômes inquiétants. Vous regardez vos voisins. Décidément étrange comme une clinique peut diffuser une odeur de maladie et  de sapin. Oui, du plus jeune au plus âgé, chacun ici a un petit parfum de sapin. Plus ou moins prononcé tout de même. L’octogénaire aveugle à votre droite, par exemple, il a dû venir avec sa pelle. Ceci dit, vos boules sont plus discrètes mais peuvent s’avérer très efficaces.
C’est votre tour. On vous arrache à vos joyeuses supputations. Il était temps : vous sentiez poindre le staphylocoque doré, la pneumopathie et tous ses amis…Vous passez du côté blouse blanche, bleu ciel, verte. Peu importe la nuance : la blouse ne communique qu’avec d’autres blouses…ça ne va pas dissiper vos humeurs forestières… En une dizaine d’années d’études, pas un module « comment rassurer le patient » ? Pas un TP « comment expliquer à une moribonde atteinte d’une pneumopathie compliquée d’un staphylocoque malin qu’il est trop tard pour envisager une ponction » ? Vous en restez sans voix. Tant mieux. Sinon vous réclameriez à grands  cris une anesthésie. Locale, pour le moins. Vu la taille monstrueuse de l’aiguille qui ricane sur la tablette à votre droite, c’est une absolue nécessité. La blouse blanche n’a pas l’air de cet avis : elle vous asperge généreusement de Bétadine tout en taquinant la blouse rose sur sa maladresse depuis ce matin… Qu’on vous sorte de là ! Aïe. Trop tard. Aïe. Vous sortez, bétadinée et pansementée, et fuyez au plus tôt vos semblables aux mille microbes.
Maintenant, vous attendez. Vous attendez les résultats.
C’est pas pour rien qu’on parle d’examen. Les charbons n’étaient pas plus ardents quand vous avez passé l’agrég.

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