Le beauf (partie 2, suite et fin)
Prenez
l’éducation des enfants. C’est très simple. Tout à fait simplissime. Il vous
faut juste une Aupair. Une ? Vous connaissez Audi, Auchan, Aubade, mais
Aupair… Bon, il est vrai que vous n’êtes pas calée question automobile…
Ah ? Rien à voir avec les voitures ? À moins que votre Aupair ait une
option chauffeur. C’est envisageable. C’est très pratique, une Aupair. Mais,
avant tout, une Aupair s’occupe de vos enfants. Oui, voyez-vous, l’enfant est
bruyant, il s’agite dès l’entrée au restaurant, il a mal au cœur en bateau, il
ne s’intéresse aucunement au golf, il vomit pendant les brunchs, il a sommeil à
des heures indécentes, bref, l’enfant ne comprend rien à l’épanouissement
personnel de l’adulte. L’enfant a des exigences extravagantes : faire des
câlins, un puzzle ou un dessin, raconter son abject déjeuner à la cantine, être
rassuré quand il fait des cauchemars : c’est sans fin et sans intérêt. La
solution pour une éducation sereine : une Aupair. L’enfant s’y attachera
certainement et il pourra emporter sa Aupair partout avec lui. Très pratique,
on vous l’a dit.
Prenez la
politesse. Très surfait, la politesse. Être à l’heure, par exemple : pour
quoi faire ? Alors qu’en retardant votre venue, vous ferez saisir au fil
des minutes qui s’égrènent à tous ceux qui vous attendent, par ce seul fait
d’attendre, toute l’étendue de votre pouvoir, toute l’importance de votre
personne. Non, vraiment, c’est bête comme chou.
D’ailleurs,
prêter attention aux autres, à leurs désirs, leurs petites envies, c’est d’un
commun ! Ça ne se fait plus du tout ! Trop vulgaire, vraiment. Vous
avez envie d’huîtres ? Parfait ! Régalez-vous ! Et qu’on vous
remercie platement pour imposer votre caprice à tous : vous tarabuster
avec leur ouverture, la nécessité de les accompagner de pain frais, de beurre,
voire d’une petite compotée d’échalotes, d’un Riesling idéalement frappé… Que
diable, n’y a-t-il pas une Aupair pour courir les grandes surfaces, dresser la
table, réorganiser le dîner ?! Non, vraiment, autrui est d’un ennui !
S’intéresser à un autre égo, quelle perte de temps !
Prenez la
gestion d’entreprise. Voilà un sujet pointu et passionnant. Qui peut sembler
ardu, requérir des capacités particulières, voire hors du commun. Diriger une
entreprise, ce n’est pas à la portée du premier glandu. Non. Il faut avoir des
principes, et s’y tenir : harceler le personnel à coups de vidéo surveillance,
équiper les camionnettes de l’entreprise de GPS avec mouchard. Parce que
l’employé est fourbe, une vile feignasse qui ne pense qu’à saigner le pauvre
patron. Sangsues ! Mais le beauf veille. Formé dans les plus prestigieuses
écoles, il sait à qui il a affaire, on ne l’aura pas si facilement… Il a soin
d’éviter le burn out : dès le jeudi soir, il file vers un repos bien
mérité. Golf, course de F1, visite de vignobles, chasse à courre : il sait
garder au large le surmenage. Il peut même lui arriver de ne revenir que le
lundi soir. Si, par un hasard malheureux, l’entreprise périclite, sombre dans
une faillite inconcevable, ne cherchez pas : l’employé a réussi son
travail de sape.
Prenez la
politique. Là aussi, rassurez-vous. Vous pensiez le sujet complexe ? Mais
non. Très très simple. Une fois que vous avez saisi le caractère christique de
Pétain, tout s’éclaire. Chacun est libre. Libre de choisir. Il suffit
d’exploiter ses talents. Nul n’est besoin de protéger l’individu en lui
procurant couverture médicale ou scolarité décente. Si certains sont
allergiques aux vacances, préfèrent ne manger un petit steak qu’une fois par
mois pour garder la ligne, choisissent de rouler dans des antiquités et
habitent des appartements vétustes pour la vue sur le périph, c’est leur choix.
S’ils avaient d’autres rêves, ils les réaliseraient. Qui veut, peut. Qu’on ne
vienne pas vous rebattre les oreilles avec des inégalités inscrites dès la
naissance….billevesées que tout cela !
Le beauf,
quand il veut une Porsche, hop, il vend un Monet et il en a une rouge, une
blanche, une jaune de Porsche. Ce n’est pas très compliqué de savoir ce qu’on
veut et de s’en donner les moyens. Bien sûr, quand on passe son temps à
pleurnicher sur son sort et à inventer des stratagèmes extravagants pour se
repaître grassement de toutes sortes d’allocations grassouillettes, alors là,
bien sûr… Mais ça, c’est la France : un ramassis d’assistés, rien que des
pleurnichards et des paresseux. Il suffit de regarder vers l’Orient : les
asiatiques, ils sont jaunes certes, mais ils font des petites journées de
quatorze heures, debout, à répéter la même tache exaltante toutes les trois
secondes sans broncher, et ils sont heureux ! Et n’allez pas leur parler
syndicat ou droit du travail, puisqu’ils sont heureux ! Ils vont nous
manger tout crus, c’est évident, l’avenir, c’est l’exploitation.
Non,
vraiment, la justice sociale, quelle blague… On taxe toujours les mêmes !
C’est lassant à la fin ! Toujours les nantis, les nantis ! À quand
l’ISF du chômeur, morbleu ! Toujours prendre les richesses où elles sont,
ça ne peut plus durer.
Heureusement,
il y a l’exil. Il faut être lucide. On ne s’installe pas en Belgique pour son
climat ou ses paysages variés. Le plat pays, ce n’est pas une plaisanterie. On
ne quitte pas la Bourgogne pour Westmalle sans raison. On n’échange pas
Versailles contre le Manneken-Pis sur un coup de tête. Mais entre être taxé sur
les Picasso qu’on n’a pas encore vendus au Qatar et manger des frites arrosées
de Pils pour le restant de sa vie, il faut savoir faire des sacrifices…
Oui, elles
sont édifiantes les leçons du beauf… Quand on a pour hobby le plantage de boîte
et la vente d’œuvres d’art au plus offrant, forcément… Quand on chasse, qu’on
golfe et qu’on change de passions comme de Patek, le mérite et le travail, on
connaît…
Alors
voilà. Votre beauf, il est exceptionnel, au-delà du réel et, pourtant, bien
vivant. Alors vous lui deviez d’attester sur votre honneur de son caractère
unique.
Mais ceci
est un autre chapitre…
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