La formation (partie 2, suite et fin)

La Colombe est toute douceur, à l’écoute de son équipe, de ses besoins et de ses souffrances. L’Épervier a une vision aiguë de l’entreprise, il est tout en rapidité décisionnaire et efficacité. Le Passereau est créativité et imagination. Le Vautour est un enfoiré de première qui n’est pas sans vous rappeler votre +2. Ah. Bon. Le test est bien ce qu’il a l’air d’être : un ramassis de clichés saupoudré de métaphores idiotes. Ça va vous être d’une grande utilité dans les mois à venir. Sûr.


Pas grave. Vous attendez l’exercice suivant avec espoir : ça ne pourra pas être pire. Next step : pause-café, histoire de pas s’épuiser… Vous commencez à soupçonner le formateur de vous prendre pour des pigeons, mais vous êtes Colombe, vous ne pouvez être d’un naturel soupçonneux. Le workshop reprend avec un édifiant monologue de Patrick sur son incroyable vécu de formateur : il a croisé une foultitude de volatiles et, bavard comme une pie, il ne vous fait  grâce d’aucun. Ça va de la Colombe blanche et attendrie à l’Épervier dark et féroce, en passant par le Vautour plein de doutes et le Passereau arrogant. L’Épervier Charles finit par l’interrompre : c’est à y perdre son ramage, l’Épervier n’est donc pas efficacité et qu’efficacité ? Le Passereau Émeline, qui n’a pas suivi, roucoule : est-ce possible que de temps à autre elle se sente Vautour jusqu’au bout des ailes ? Mais oui ! Bien sûr ! Chacun a en soi un Vautour qui ne demande qu’à prendre son envol ! Selon le moment de la journée, la météo, si vous avez eu ou non votre content de jus d’orange vitaminé au p’tit déj’, si le chat a fait ou non ses griffes sur votre nouvelle veste en cuir d’un noir de geai, si ledit greffier a ou non marqué son territoire jusque dans vos chaussures… : les paramètres sont infinis ! Moineaux, hirondelles, aigles et autres bêtes à bec ne volent pas dans un long ciel tranquille. Le réchauffement climatique, le cours du tournesol, la pénurie de vers beaux et gras ont indéniablement une influence cruciale sur le comportement de drôles d’oiseaux ! Vous saisissez l’image ? Oui. Oui, vous saisissez : aussi sûrement que le faucon fond sur le mulot. Vous saisissez très bien, et au-delà. Vous saisissez que vous êtes le dindon d’une farce dont Patrick s’emplit les poches, le Team building c’est la poule aux œufs d’or pour tous les beaux merles qui savent chanter. Vous saisissez. Vous n’avez rien d’une bécasse. Mais plus vous avancez dans cette journée et plus vous êtes d’une humeur de vieux hibou réveillé en plein jour.

Après une pause déjeuner qui a fourni à Émeline le Passereau l’occasion de se gausser de votre appétit de moineau, vous hérissant un peu plus le plumage, Patrick annonce le menu de l’après-midi. Jeu de rôles. Tadam ! Prévisible. Pas besoin d’être force de proposition pour avancer que les « To do » de Patrick se résument à alterner jeux idiots et épanchements soporifiques sur ses terrifiantes expériences. Ça brainstorme pas des masses dans la cervelle de Patrick.
Bon. Vous écopez des oripeaux d’un team leader-Vautour. À mille lieues de vous. Charles doit se muer en Passereau ne respectant aucune deadline, Émeline en Épervier menant une conf’call. Mais est-ce que ça fait vraiment sens ? Hein ? D’endosser des rôles qui vous parlent si peu que vous en serez réduits à n’avoir que des réactions stéréotypées ? Auxquelles les autres ne pourront réagir que par d’autres clichés factices ? Hein ? Parce que vous pourriez aussi faire la danse des kangourous, laisser libre cours à la taupe qui mugit dans vos entrailles ! Pourquoi pas une journée du poussin demain ? Pour souder l’équipe ? Et, putain de bordel de merde, y en a marre de ces anglicismes à la con !
La Team roule des yeux ronds. Ah. Vous avez parlé à voix haute ? C’est ça ? Non, parce que vous ne le pensiez pas vraiment…enfin…Si. Mais vous ne souhaitiez pas exactement employer ces termes… Enfin…Si. Mais pas à voix haute…Pas maintenant…
La Team roule des yeux ronds parce qu’Émeline, genoux fléchis, mains croisées dans le dos, feint de picorer des miettes sur le sol. Ah. Tout va bien. Vous pouvez continuer à penser, cela ne sort pas de votre tête.

L’après-midi s’écoule comme un long, très long jour sans pain. Il neige. Beaucoup. Fort. Il fait froid, glacial. Sale temps pour les mésanges.
Le parking est tout blanc quand on ouvre enfin votre cage. Les pare-brise sont gelés. Vous proposez aimablement à Emeline de l’aider à gratter. Elle sourit, incline la tête : « C’est bien d’une Colombe, ça ! Toujours prête à rendre service, la Colombe ! »
« Elle t’emmerde, la Colombe, tu piges, connasse ! Elle t’emmerde ! Tu peux aller te faire mettre avec ton grattoir et crever le bec ouvert dans la neige, rien à foutre ! C’est assez Colombe pour toi, là ! T’en veux encore ? »
Vous avez parlé ? A voix haute ? Non ? Si…
Si. Émeline en est toute ébouriffée. Finalement, il n’avait pas tort, le Patrick. Vous iriez même jusqu’à vous sentir grand fauve sur les bords, ça fait un bien fou, mazette. Vous avez de beaux jours de +1 devant vous.

Mais ceci est un autre chapitre.

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