Le projet (partie 1) # rentrée #job dating # fuite des idées
Vous n’êtes pas sûre de bien comprendre, ni même de
comprendre, tout bêtement. C’est quoi, le projet ?
Et vous dites bien « le » projet ;
« notre projet », c’est une arnaque, un embarquement hypocrite et
violent dans une aventure que vous n’avez pas souhaitée, pas plus que vous ne
souhaitez attraper des poux, ou la variole du singe. Une formule écœurante.
Révoltante. Un peu de modestie, nom d’un petit pois ! Au mieux, on
vocifère « c’est mon projet ». Mais, enrôler de force de pauvres
hères qui n’ont rien demandé, ça, non, c’est mal.
Ceci dit, vous n’êtes pas plus avancée. La rentrée
pointe, enfin (oui, « enfin », le parent comprendra…), le bout de son
nez, et vous n’y voyez pas plus clair que dans le cul d’un mammouth. Que
s’est-il passé ?
Une réunion qui aurait dégénéré ? Avec un
Trudy Nimportnawak qui lève frénétiquement la main, trépignant sur sa chaise
comme un sixième assoiffé de participation (après, ça leur passe…) et qui lance,
comme un sixième qui ne peut mémoriser la seconde consigne qui consiste à
attendre qu’on lui donne la parole comme s’il n’était pas seul dans cette
classe surchargée, Trudy lance, donc, ce qu’on pourrait appeler une idée :
« Et si on réglait le problème du manque d’enseignants avec du job
dating ? »
Et personne pour lui rétorquer « Trudy, ta
gueule. Tu fais chier. Mémé t’a pas appris à tourner sept fois ta langue dans
ta bouche, tirer dessus et faire un nœud bien serré avant de
parler ? » Ou un simple : « Au coin. Et, si tu t’avises de
sortir encore pareille ineptie, tu me conjugueras ʺJe ne dois pas m’essuyer les
pieds sur le service public comme sur un vulgaire paillasson avec mon cerveau
tout crottéʺ, à tous les temps de l’indicatif. Au fait, Trudy, c’est toi qui as
remplacé les notions de COD et COI par le prédicat ? Lumineux :
remplacer le seul point de grammaire facile pour les mômes par un truc tordu et
imbittable, bravo. Au coin, Trudy. »
Non, le chef de Trudy a dû lui dire :
« Super, Trudy, génial ! Avec ça, en deux jours, trois entretiens, on
peut rendre invisible le problème de recrutement des profs ! Oubliées les
démissions ! Enterrés les salaires indigents ! Occultées les classes
surchargées ! Effacés les gosses lobotomisés à Tik Tok ! Zappés les
parents consommateurs et méprisants ! Et on peut même continuer à désosser
le squelette du corps enseignant pour engraisser les établissements privés.
Magnifique ! Brillant ! » Trudy, tout émoustillé, aurait même
osé :
« Et on pourrait éventuellement proposer de
revaloriser le salaire des aspirants enseignants ?
̶ Parfait. Avec tous les clampins qui croient
durs comme fer qu’un prof passe son temps à se la couler douce entre deux
vacances, on va faire un tabac. Ça va plus se bousculer au portillon des
rectorats qu’au salon de l’agriculture ou à un concert de Metallica ! Il
suffit de geler les salaires sur une vingtaine d’années : bon, les vieux
briscards vont râler d’être payés autant qu’un gugusse qui n’a pas passé un an
à trimer comme un damné pour passer un concours exigeant, mais qu’ils se
mettent en grève : ça mettra de l’eau au bon vieux moulin de l’enseignant
fainéasse privilégié et râleur. Et puis on peut compter sur les géniteurs fiers
de leur descendance pour postuler : ils vont se ruer sur l’aubaine, tout
fiers d’avoir réussi à faire manger du gâteau aux courgettes à Kevin, et se
coltiner une trentaine de gamins … D’autres suggestions stimulantes
Trudy ?
̶ On pourrait envoyer un mail à tous les parents
d’élèves pour trouver des candidats, ils pourraient même en parler autour
d’eux. Si on ajoute les ATSEM et les chauffeurs de bus, on peut faire d’une
pierre trois coups.
̶ Mais… Trudy… Tu clapotes d’idées
chatoyantes ! C’est plus du ruissellement, c’est carrément un
tsunami ! T’as déjà pensé au ministère ? Le poste est pris, pour
l’instant, mais on doit pouvoir te trouver une place… Ministre au démantèlement
méticuleux du service public ? Zut. Non. Trop explicite. Ah, tout le monde
n’a pas ton génie, Trudy. Ministre de l’évolution de l’éducation ?
Mieux ! Ministre de l’évolution… Plus vague. Ca claque. T’aurais les
coudées franches pour laisser libre cours à ton terrible génie.
̶ Si je puis me permettre… Un appel aux
retraités ?
̶ Ouahh ! Mais ça fourmille dans ce
ciboulot ! T’es une termitière à idées, Trudy ! Et en plus, c’est top
pour endormir ces fossiles qui geignent sur leur fin de mois qui commence le
huit ! Trudy, tu es trop fort… Viens là que je te fasse un gros poutou. Je
plaisante ! Pas de Poutou ! Ah ah ! »
Non… Il est peu probable que cela se soit passé
ainsi. Quoique…
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