Le correspondant (partie 6 et fin)
Vous n’avez dit mot de votre ferme résolution : s’il rate ce car, il n’en retrouvera pas moins su madre, su padre y su baño. Quand bien même vous devriez rouler quatorze heures d’une irrespirable traite, traverser monts et frontières. Nounours arbore une moue dubitative. Il n’est pas là, mais vous connaissez votre Nounours sur le bout des doigts. Là, par exemple, il est tenté par une boutade dont vous le dispensez. Néanmoins vous lui concédez que tout trajet dépassant un rayon de trente kilomètres autour de votre chaumière lui échoit systématiquement. Certes. Mais il n’a pas les arguments odorants de François. Et vous lui en vouez une reconnaissance sans relent, à Nounours.
Dûment munie de son autorisation et d’un sac, vous osez (eh,
oui, encore… À croire que votre audace ne tient qu’à un fumet… De là à songer
que si votre demeure exhalait le purin votre reconversion professionnelle
serait riante. Ou rieuse ?) questionner François quant au tri de son
linge. Ce dernier finit par comprendre
la raison du sac que vous portez, et vous espérez qu’il le comprend mieux que
vos exhortations à se doucher… et vous montre un petit tas de sous-vêtements,
qui, vous en convenez avec lui, a tout l’air d’être destiné à un sac à linge
sale.
Une fois seule, vous lancez avec un bonheur inégalé la
lessive de ses draps, aérez la chambre de Choupinet avec allégresse : la
bise vous secourt, elle souffle avec une force qui rend enfin compréhensible
l’expression mystérieuse « un vent à décorner les bœufs ». Si vos
collégiens survivent à cette journée sans finir transpercés par une corne
violemment arrachée à son propriétaire, ce sera un miracle. La preuve :
Croquette ne vous a pas harcelée pour sortir alors que des jeunes oiseaux
piaillent après leur pitance du nid que leurs inconséquents parents ont
laborieusement confectionné sur la terrasse. Tant d’allers et retours,
brindilles après brindille, pour confectionner un délicat amuse-gueule à un
fainéant félin, c’est ballot. Entre la petite cousine de tornade qui sévit et
le canapé, le greffier a choisi. Il perdra des touffes de poil d’hiver sur le
noir et moelleux tissu. Comme la Nature, dans son immense cruauté, ne vous a
pas fait chat, vous aspirerez. Retournez donc à votre ménage.
Vous approchez
prudemment de la valise où ses affaires tourbichonnent. Ça n’existe pas ?
Peut-être. Mais dans l’univers de François, si. Aucun autre verbe ne peut
décrire fidèlement le tas de ce qui devait ressembler à des vêtements et qui
déborde de sa valise. Il est impensable de songer à vous contenter de vous
asseoir sur le tas pour fermer le malheureux bagage. Vous vous apprêtez donc à
plier t-shirts et pulls quand vous êtes brutalement attaquée.
Soit un troupeau cherche ses cornes sous votre fenêtre et
ponctue sa quête de pets nerveux, soit François et vous n’avez pas la même
définition de « propre »… Un faux ami ? Vous doutez : ropa limpia n’est pas ropa sucia. Le problème n’est pas de
traduction mais de conception. Et, pour l’instant, vous avez un terrible
problème de respiration. Mais vous ne pouvez vous résoudre à infliger pareille
agression à une autre mère, quand bien même son éducation en soins corporels
d’urgence laisserait à désirer.
En nausée… Quoi ? Ça n’existe pas ? Encore !
Toute femme ayant souffert de grossesse vous dira que si. Avoir la nausée,
c’est autre chose, c’est pour les excès de gras et d’alcool. Donc, en nausée et
apnée, vous saisissez du bout des doigts, en veillant à réduire le plus
possible le contact entre votre peau et la chose, les vêtements, puis les pliez
en veillant à battre le record du monde de vitesse de pliage. Ça n’existe
pas ? Ça suffit ! Vous venez de l’inventer, voilà ! Vous batte
qui peut. Et attention : vous êtes très forte : l’apnée n’a qu’un
temps. Ça stimule.
Alors que vous enfournez les émetteurs d’odeurs suspectes
dans un sac, vous vous souvenez : ne pas oublier les petites surprises
pour la famille de François. Pour les remercier de sa visite. Vous avez de
douteuses idées parfois. Heureusement votre cerveau recèle des trésors qui vous
surprennent avec bonheur : finalement, leur offrir tome et reblochon,
c’était lumineux. Bien faits.
Oups, vous alliez oublier sa trousse de toilette. En même
temps… Elle lui est aussi utile que des escarpins à un lombric, un abonnement
Netflix à une hydre d’eau douce, du fil dentaire à… Tiens. Vous aviez raison.
Ça vous arrive. Régulièrement. Voire tout le temps. N’en déplaise à Nounours.
Aucun gel douche. Pas de shampooing. Les flacons qui trônent sur la baignoire
sont ceux de Choupinet et Choupinette. Pas de doute : « secrets de
citron et sa pointe de cactus » et « douceur pétillante de pétale de
rose », c’est bien à eux…Un pauvre peigne, une brosse à dents qui a tout
l’air d’être en année sabbatique : vous avez beau fureter, les possessions
de François sont bien maigres. Mais peu importe, puisque qu’il va suer ailleurs
dès ce soir !
Quand le bus dépose vos collégiens, toute la maison empeste
le vinaigre, et vous vous en réjouissez. Le gouter est réclamé, et,
étrangement, ils veulent le prendre dehors… Vous ne risquez pas de vous y
opposer. Ce qu’enfant veut…
La maleta au
frometon est dans le coffre, la chaqueta
aussi : vous êtes prêts pour partir. Choupinette s’étonne vous allez avoir
une bonne demi-heure d’avance, non ? Lui apprendre à lire l’heure était
une erreur. À parler aussi. Trop tard. Dommage. Vous maugréez que l’exactitude
est la politesse des rois, et qu’on ne fait pas attendre Felipe. L’impertinente
rétorque qu’exactitude ne rime pas avec avance. Vous acquiescez, en effet, pas
de rime, et démarrez le moteur pour ouvrir promptement les fenêtres.
François trouve opportun de commenter l’atmosphère en
ricanant comme seuls les ados savent le faire (vous savez, ce rire, là,
insupportable, crispant au plus au point pour tout individu qui n’a pas entre
12 et 16 ans…) : « (ricanement) ça sent la vache !
(ricanement) »
Choupinette, toujours aussi perspicace, vous chuchote :
« Maman… C’est lui qui sent la vache ! » Prudemment, vous ne
commentez pas, et accélérez.
L’adieu se savoure, mais vous saurez ne point le prolonger…
Et vous songez que, pour vous, il est éternel. Quant à Choupinet… L’an
prochain…
Mais ceci est un autre chapitre.
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