Lettre au père Noël # j'ai très envie de les emmerder, les vœux (partie 2)
Cela me conduit à mon second vœu,
père Noël.
Aurais-tu l’obligeance de fourrer
dans ta hotte un président qui ne nous emmerde pas ? Car nul besoin d’en
rajouter : on est bien assez emmerdé comme ça pour que le chef de l’État
se passe d’en rajouter une couche. Il est vrai que cela a l’air de lui faire
plaisir : il a « très envie » de les emmerder les non-vaccinés. Ҫa le démange,
il jubile le président. On peut comprendre. Ce genre d’envie, on en a tous.
Très envie de tarter le môme de cinq ans qui passe ses matinées, soit trois bonnes heures d’affilée, à se rouler dans la salle de classe en hurlant en boucle « la maîtresse, elle est caca » suffisamment fort pour que ses petits camarades ne puissent avoir d’autre activité que contempler ce déroutant spectacle (si, ça existe, le diagnostic : il a besoin de s’exprimer, un peu comme le président...). Très envie d’en avoir rien à foutre du quatrième qui refuse de faire ses exercices de conjugaison et préfère tenir chaud au radiateur : après tout, s’il ne saisit pas que la maîtrise du passé simple des verbes du premier groupe, comme « emmerder », remet en question son avenir, y compris présidentiel, peu nous chaut… Très envie de balancer la bûche à la tronche de tonton qui tient des propos homophobes, sexistes et racistes : certainement un futur candidat, tonton. Très envie de se payer la tête du ministre qui explique qu’il est interdit de manger ou boire dans les transports en commun. Sauf si on a faim. Ou soif. (Non, c'est vrai, avant la pandémie, on ne mangeait son sandwich SNCF que si on s'était tapé la cloche avant de partir, par pur masochisme, et, en plus, on buvait des litres d'eau juste pour le bonheur d'user des si pittoresques toilettes du train. C'était n'importe quoi. Juste pour déranger, voire emmerder, son voisin qui expliquait pour la trentième fois à un pauvre hère figurant sur ses contacts les détails de sa dernière gastro. Très envie de lui péter la gueule à ce malotru, d’ailleurs.) Très envie d’en avoir rien à battre de l’adolescente qui se gave de chips et de réseaux sociaux : elle emmerde ses parents, il paraît que c’est bon signe… Très envie d’émasculer le frotteur du métro, qu’il cesse d’emmerder ses victimes. Punaise, toutes ces envies ! C’est réjouissant.
Néanmoins, on les refoule. Et,
même, on les tait. Parce qu’on réfléchit. Parce qu’on se contrôle. On ne se
leurre pas : tout ne peut être dit, sous prétexte qu’une pulsion violente,
certes soulageante, nous traverse la trombine. Alors qu’il pourrait paraître
bien anodin qu’on formule ces envies à voix haute : dans la mesure où on n’est
pas un personnage public, aux responsabilités supposées grandes, dont le propos
est tenu à un média qui va forcément relayer nationalement cette envie. À moins
qu’un petit détail m’ait échappé, la dernier fois que j’ai eu très envie de faire
bouffer à mon ado préféré le linge sale qu’il accumule sous son lit, il ne me
semble point que cela ait été relayé par la BBC,
The Guardian, CNN, le New Yorker, El Pais, Il Tempo, Der Spiegel…
Non, vraiment, je n’ai rien perçu de tel. À croire que les propos d’une mère de
famille justement ulcérée et d’un chef d’État n’ont pas la même portée. Bizarre.
D’ailleurs, malgré mon humble rôle,
je tiens à m’excuser, sincèrement, père Noël, pour un tel amas d’indignes grossièretés.
L’exemple présidentiel, sans doute… Mais, au moins ne poserai-je pas de soucis
de traduction aux malheureux journalistes. « I fuck them » ou « piss
off » ? Pas facile… Et l’honneur est sauf, le président ne pisse
pas à la raie de cette bande de trous du cul. Ouf.
Je ne peux m’empêcher d’imaginer
un instant la réunion de briefing de l’interview. « Et, là, tu dis que tu
les emmerdes. » « T’es sûr, Michel ? » « Ouais, tu les
emmerdes ! C’est qui le président, bordel ? Si tu veux, tu mets ça au
subjonctif, pour que ça claque, hein Brigitte ? Il eût fallu que je les
eusse emmerdés jusqu’au bout pour qu’ils se vaccinassent. Mais tu risques de
perdre des électeurs responsables. Fonce, Manu, balance la purée : tu les
emmerdes, c’est clair ! » Le message est bien passé. Michel doit être
viré…
Petite confidence, père Noël, je m’interroge : que ressent-on quand on marque le pays d’une phrase ? On se souvient du « Vous n'avez pas, Monsieur Mitterrand, le monopole du cœur ! Vous ne l'avez pas... » de Giscard d’Estain, du « Mais vous avez tout à fait raison, Monsieur le Premier ministre ! » de Mitterrand à Chirac affirmant qu’ils étaient deux candidats à égalité se soumettant au jugement des français. La classe, non ?
Bon, on se souvient également du « Eh ben, casse-toi, pauvre con ! » de Sarkozy, du « Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur » de Chirac… Le pouvoir des mots est terrible.
Et d’aucuns en abusent, avec une certaine inconscience, espère-t-on, car s’il s’agit d’une volonté volontaire de faire le buzz, là… (et, non, on ne dira pas qu’ils auraient mieux fait d’être plus concentrés sur le cours de français que sur l’enseignante…) : définir une gare comme « un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien », affirmer qu’un boulot, « je traverse la rue, je vous en trouve ! »… Peut-être n’est-ce pas des plus heureux. Disons qu’on est passé d’un niveau de punchline genre… Everest ? À un terril.
On peut toutefois s’excuser. Et le
président ne manque pas de le faire. Un président « oups ! »… Qu’il
demande à vos adolescents : on peut excuser une fois mille personnes, mais
excuser mille fois une personne… L’erreur est humaine, les méga boulettes sont
présidentielles.
On peut aussi promettre. De ne plus recommencer. De ne plus prononcer de petites phrases qui peuvent blesser. Le président l’a fait. Mi-décembre. Soit il a un Alzheimer précoce. Soit il a autant de volonté pour tenir ses promesses que moi mes bonnes résolutions. C’est pas rassurant, rassurant…
Alors que les vœux présidentiels
de bienveillance et de solidarité… Il les emmerde? Ou il nous emmerde avec
« un infini respect »? Et les mômes? Ces
petits nids à virus sur pattes non vaccinés ? Il les emmerde à partir de
quel âge ? Quitte à emmerder, je préfère, définitivement, la
version de Brassens, mais à tout prendre, je préfère encore, n’en déplaise à Mr
Attal, qu’on ne se parle pas « franchement »…
J’en rougis, père
Noël, mais je crois qu’il serait plus convenable de te renouveler mes excuses
pour cette accumulation par trop élyséenne de grossièretés.
Cependant, m’objecteras-tu, père
Noël, toi qui sais tout : pourquoi se sentir concerné quand on est vacciné ?
Certes. Peut-être parce que mes doses ne m’immunisent pas contre la compassion
et la compréhension de mes pairs. Peut-être parce qu’être pfizerisée avec moult
doutes ne m’a pas donné le droit d’emmerder autrui. Peut-être car je crains de
ne plus être une citoyenne…
Pourquoi ? Car si « un
irresponsable n’est plus un citoyen », dixit le monsieur aux propos fort
responsables qui nous emmerde, je suis prise d’un trouble vertigineux. Suis-je
responsable ?
Fumer quand le paquet de
cigarettes arbore message et image, ma foi, fort explicites, est-ce responsable ?
Préférer un verre de Bordeaux à la lecture de Baudelaire pour se détendre le
soir venu, est-ce responsable ? Appeler sa fille Joéva, à moins que l’on
ait préféré Pandemica, est-ce responsable ? Perd-on la citoyenneté quand
on prénomme son fils Prosecco ? Et quand on jette son masque par terre,
quand on balance du plastique à la mer ? Quand on emmerde son IMC au
mépris des injonctions au corps sain ? Quand on traverse en dehors des
clous ? Quand on stimule ses neurones à coup d’Hanouna ? Quand on n’a
loupé aucune saison des Anges de la
téléréalité ? Complétement irresponsable, non ? C’est un coup à
sacrément diminuer le nombre de citoyens…
Peut-être faudrait-il creuser l’idée
du pass vaccinal. Créer un pass électoral. Et un pass pour les candidats ?
Te rappelles-tu, père Noël, de la pub pour la Vache
qui rit ? Je l’imagine fort bien, le casting des candidats… Trop
raciste. Trop clivant. Trop égocentrique. Trop médiocre. Trop con. Trop
vulgaire. Et, paf, une trappe s’ouvrirait sous les pieds du prétendant à la
gouvernance du pays. Exit le candidat. On serait moins emmerdé…
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