La sixième (1/3)
Choupinette
rentre en sixième. Je répète : Choupinette rentre en sixième.
On peut
toujours répéter… Le message reste aussi sibyllin qu’un code venu tout droit
des ondes anglaises en pleine seconde guerre mondiale. Et encore, vous êtes
sûre que vous décrypteriez plus aisément « Nancy a le torticolis »,
« le chasseur est affamé », « Gaby va se coucher dans
l'herbe » ou encore « les sanglots longs des violons d’automne »…
Le problème
du message, c’est qu’il est trop personnel. Elle est trop petite Choupinette,
trop douce, trop. Pour la sixième. C’est votre Choupinette, votre bébé,
merde ! Elle ne peut pas porter un sac de quarante kilos, elle en pèse à
peine plus de vingt !
Vous ne
voulez pas vous lancer dans l’achat de la longue liste obscure de fournitures.
En une tentative désespérée pour nier cette réalité terrifiante :
Choupinette rentre en sixième.
Mais dès
juillet, les rayons du supermarché sont aux couleurs de la rentrée… Le commerce
n’a que faire de vos angoisses maternelles, et Choupinette n’a clairement pas
l’intention de demeurer éternellement votre bébé, votre toute toute toute
petite fille.
Vous
trainez des pieds, mais Choupinette, elle, exulte. Un an qu’elle attend cet
évènement, un an ! Non, vous n’exagérez pas. Deux semaines de CM2 et elle
piaffait d’impatience, ulcérée de réapprendre ce qu’elle sait déjà, aussi
écœurée que lors de sa rentrée de CP, lorsqu’elle est revenue de ce morne
premier jour sans avoir appris à lire et sans exercices à faire à la maison…
Pas une addition, pas une multiplication, pas la moindre dictée, de qui se
moque-t-on ! D’elle à l’entendre…
L’année de
CM2 fut donc longue. Très longue.
Et le
moment tant redouté, tant attendu, tout dépend du point de vue, est enfin
arrivé. Avec sa liste opaque et touffue de matériel. Choupinette n’a qu’un
désir : remplir votre charriot de cahier de leçons, de cahiers
d’exercices, de crayons, classeurs et feuilles. Vous n’avez qu’un désir :
arrêter le temps.
Mais bon.
Vos désirs, c’est n’importe quoi. Peu réaliste et peu sain. Résignée, vous franchissez le seuil du centre
commercial, avec, à la main, votre longue liste et votre Choupinette exaltée.
C’est un
mardi magnifique, caniculaire, un temps à déguster une glace, un temps à se
baigner… Parfait. En ce début d’été, il
faudrait être fou pour gâcher cette journée dans des rayons vaguement
climatisés.
Bon. Vous
surestimez clairement le bon sens de vos homologues. Les mères affolées et leur
progéniture surexcitée encombrent les allées.
L’après-midi
va être long. Et épuisant.
Déprimée,
vous suivez Choupinette qui sautille vers les trousses. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur,
vous vous plongez dans cet épineux dilemme : une trousse bleue pailletée
ou une trousse noire en cuir ? Vous suggérez celle avec les licornes
rigolotes. Choupinette vous toise avec
un mélange déroutant de mépris et de pitié… Vous notez la prestation
impressionnante : toiser quand on a trente bon centimètres de moins que
l’individu source de ce profond dédain, ce n’est pas évident… Choupinette vous
ré-explique avec fermeté ce que vous persistez à ne pas vouloir saisir :
elle rentre en si-xi-ème, en sixième ! Les licornes, c’est pour les bébés.
Vous regardez la trousse noire échouer dans le charriot en marmonnant qu’elle
sera toujours votre bébé, même quand elle sera lycéenne, étudiante, architecte
ou psychologue… La tête vous tourne… Vous ne devriez pas vous lancer dans de
telles énumérations… C’est fort mauvais pour votre pauvre petit cœur.
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