Confinement 4



Ce matin, vous avez allumé la radio.
Erreur. Super grave erreur. C’est comme un couvercle qui s’abattrait sur votre pauvre tête pas coiffée (et vos cheveux poussent plus vite que les tomates dans le jardin) et la maintiendrait dans une eau boueuse et putride.
Et ce matin, c’est pire.
L’invité appartient visiblement à cette catégorie d’individus qui vit sur les deniers engrangés par ses ancêtres, et ils ont sacrément bossé et engrangé. Lui se contente de désengranger, mais avec l’assurance que donne l’immense richesse. Et pour passer le temps, il offre sa bonne parole sur les plateaux. Quoiqu’il dise, il a raison. Pourquoi aurait-il tort ? Dieu ne l’aurait pas béni sous une pluie de milliards s’il n’était pas un être unique, remarquable, incontestable. Comme s’il existait une loi universelle qui veut que la fortune soit proportionnelle à l’intelligence et aux valeurs morales, loi méconnue d’un tas d’infâmes péquenauds. Dont vous êtes. Bref, le ton seul suffit déjà à vous donner envie de gerber le café que vous n’avez pas encore bu.
Mais il y a pire. Oui, il y a des jours comme ça, où vous vous retrouvez, sans avoir pris de billet pourtant, dans l’incroyable manège de la spirale du pire. Et le tour est toujours trop long.
L’invité, appelons le M. C. a décidé d’éclairer l’humanité quant au sort à réserver aux enseignants. M. C. a tout l’air d’appartenir, outre les points susmentionnés, à ce pourcentage d’individus qui ont fort mal vécu leur scolarité et qui en profitent, la maturité venue, pour régler leurs comptes. En même temps, M. C. n’avait nul besoin d’apprendre : vous l’avez déjà expliqué. Quant à ouvrir son esprit aussi serré qu’un trou du cul de fourmi : mission impossible (OK… Vous regardez peut-être un peu trop le Journal du confinement de Pierre-Emmanuel…).
M. C. commence donc par conspuer le manque d’esprit civique des enseignants. Et il les oppose (son papa lui a appris à opposer dès son plus jeune âge, à M. C., ça évite la solidarité et ça profite aux dividendes) au corps médical. Feignant d’oublier que ces deux institutions naviguent sur le même bateau, celui du service public, qui fend bon an mal an les flots de l’humanité avec comme seul point de mire le bien de tous.
Détail. De toute façon,  M. C. abhorre généralement le service dans son ensemble, et le public n’est que plèbe infâme : pas même la décence de boursicoter à ses heures perdues, comme il convient à tout homme respectable. Mais, bon, pandémie oblige, M. C. applaudit à 20 heures, quitte à ce que son homard refroidisse : il a le sens du sacrifice.
M. C. est clair : ça suffit de ne rien branler, et qu’on excuse son langage, il faut savoir s’adapter à l’homo vulgaris, mais la saison des fraises touche à sa fin, alors faut y aller, faut y aller !
Le sanitaire ? La sécurité ? Des excuses pour ne pas retourner bosser le 11 mai. Bah oui.
Et comme l’enseignant ne sait pas lire, il n’est pas au courant que le Conseil scientifique a préconisé une réouverture des écoles en septembre. En même temps, qui compose un tel Conseil ? Certainement des branquignoles analphabètes et incompétents, mâtinés de bolchevisme, tous à la botte des feignasses enseignantes grassement payées à se faire des manucures en sirotant des mojitos. Sûr.
Vous objecterez bien que Choupinet, outre les cours, devoirs et suivi individuel pleinement assurés pendant le temps scolaire, a eu droit, entre autres, à des cours de math approfondis en visio pendant les vacances, et que, bah, finalement, des gugusses qui bossent gratuitement pendant leurs vacances, y en a pas tant que ça… Mais bon, M. C. ne vous entend pas. Pas du genre à écouter les objections, et comme, de plus, il n’est pas dans votre cuisine…
N’empêche, vous lui diriez bien, à M. C., qu’occuper des enfants toute une journée sans livre (comment désinfecter ?), sans jeux de société (comment désinfecter ?), sans salle de motricité (comment désinfecter ?), c’est pas du petit lait… Que veiller à ce que des enfants ne touchent pas leurs camarades, restent constamment éloignés d’au moins un mètre, se lavent les mains avant et après être allés aux toilettes, avant et après pris leur crayon, qu’ils ne doivent pas prêter, c’est pas du petit lait…Que s’assurer, tout en portant un masque et en les reprenant à la moindre infraction aux consignes du protocole d’une cinquantaine de pages aimablement fourni par le gouvernement, qu’ils ne fassent pas de cauchemar pendant les quinze prochaines années à venir, c’est pas du petit lait…
En même temps, M. C., pour vous entendre, mieux, vous comprendre, il faudrait qu’il connaisse des enfants autre chose que le prénom des trois siens. Et encore, parfois, il a un doute et il est obligé de demander à la gouvernante, ou à la baby-sitter qui la remplace pendant les vacances, comment se nomme le petit rouquin qui lui ressemble tant, là, âgé de… combien déjà ? Trois ans ? Car, un des privilèges de la fortune, c’est de dispenser de s’emmerder avec les morveux et autres corvées. Conséquence malheureuse, M. C., question mômes, il s’y connaît autant qu’en camping ou hôtel deux étoiles.
Lui demander, à M. C., s’il est humainement et psychologiquement souhaitable de garder un groupe d’enfants de 8 h à 16h30 en leur interdisant tout jeu, tout contact physique, toute récréation, sans sieste pour les 2/4 ans, sans ballon, sans échange de cartes ou de billes, sans loup touche-touche, ça ne sert à rien.
Lui faire remarquer que trois enfants et une classe, même une demi-classe, en ayant des objectifs pédagogiques, et pas seulement de survie, c’est aussi différent que faire le plein et gérer un puits de pétrole, ça ne sert à rien.
Lui faire remarquer que si Kévin, tout asymptomatique qu’il soit, refourgue le virus à mémé, dont il ne pourra même pas aller à l’enterrement, c’est pas à lui, M. C., qu’on viendra demander des comptes, que c’est l’enseignant qui sera en première ligne, ça ne sert à rien.
Mais, vous, vous imaginez bien la déconfiture de mai…
« Naaan ! Kévin ! T’as pas le droit de tenir la main de Charlotte, alors t’as pas non plus le droit de lui mettre un doigt dans le nez ! Va te laver les mains ! Charlotte, qu’y a-t-il ? Quoi ? Louis a des poux ? On s’en fout ! Et comment les as-tu vus à un mètre de distance, arrête de vouloir lui faire des tresses, il ira chez le coiffeur en juin ! Et, non, tu ne mords pas son crayon ! » Kilian ? Il n’est pas là. Pas de nouvelles de ses parents pendant deux mois.  Par contre, ils ont été les premiers à répondre que Kilian n’était pas volontaire. Normal, fallait pas poser la question : il n’est volontaire pour rien depuis septembre. Il va pouvoir poursuivre ses progrès en maîtrise de Fortnite. « Mais non, Charles, je t’assure, pas besoin d’appeler les urgences, promis : Louis ne t’a pas craché dessus. Pas volontairement en tout cas. » Kévin revient des toilettes. « Naaaan ! Recule ! Tu parles à Louis à moins de soixante centimètres ! Tu me copieras cent fois "Je respecte les gestes barrières." Charlotte, lâche immédiatement ce livre. Sortez, en rang pas par deux dans le sens des flèches au sol : je dois désinfecter la salle avant le pique-nique. Naaaan ! Vous ne faites pas un câlin à Louis ! Écartez-vous, tous ! Oui, il pleure parce qu’il a peur… Comme disait sa grand-mère, il pissera moins demain. Jade, mouche-toi et mets ce mouchoir dans ta mini poubelle personnelle avant d’aller te laver les mains. Comment ? Tu as oublié ta poubelle à la maison ? Bon. Va t’asseoir sur la chaise d’isolement. Vous avez fini votre fiche d’écriture de "pandémie" en attaché ? Parfait. Posez la dans le casier : j’attends cinq jours que le virus meure et je les corrigerai après. Allez, maintenant tout le monde dessine un pangolin dans sa tête. »
L’intérêt économique passerait-il avant les intérêts pédagogiques et sociaux (attention, hein, ils sont tout devant, dans la vitrine, ça décore bien…), comme avant la pandémie ? Oh ! Non… Quelle vilaine idée… Promis, il y aura un avant et un après Covid.
Et le pire… M. C. n’est pas un exemplaire unique…
Finalement, vous allez éviter le café : ça n’apportera rien de bon à l’école à la maison…

Commentaires

  1. Presque autant de sensibilité à la cause enseignante qu'à la cause parentale, c'est louche ! ;-)

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