La voile (partie 2)


Enfin vient le jour de lever les voiles, cap sur l’école. Saint Mamert, Pancrace et Servais, fidèles à leur réputation, font tomber des trombes d’eau. Tout sourire, vous approchez du portail avec la sérénité d’un pape qui a justement béatifié. Vous pouvez le remballer, votre sourire béat. Direction la mare aux canards.
N’eût été votre profond respect du corps professoral, vous vous seriez volontiers mutinée. La maîtresse tient bon la barre : si, à midi, la classe a les pieds gelés le nez qui coule et quarante de fièvre, promis, et vous savez dorénavant à quoi vous en tenir quant aux promesses de la maîtresse, on rentre au port colorier des optimistes tout l’après-midi.
Optimiste. Franchement. La langue française a de ces farces… Dépitée, vous franchissez le mille qui vous sépare du couloir de l’école du pas lourd du scaphandrier dépressif. Pas besoin d’être enthousiaste. Les trente moussaillons qui vont se faire tremper jusqu’aux os sont suffisamment excités pour pallier vos défaillances.
Ça crie, ça court, ça piaille, ça sautille. Vous avez déjà des envies d’apprentissage de l’immersion quasi spontanée. Gardez vos idées ludiques, « pas cap de garder trente minutes la tête sous l’eau ? », pour plus tard : la journée ne fait que commencer… 

Le chauffeur de bus est givré : il ne sait pas comment enlever la buée qui couvre ses mètres de pare-brise… Il tente de se frayer une lunette de visibilité à l’aide d’un petit chiffon… Vous ne savez plus à quel saint vous vouer… Vous quitteriez bien le navire, mais abandonner Choupinette avec ce marin d’eau douce ?
Trop tard, les écoutilles sont fermées. Et ne comptez pas sur l’énergumène pour trouver le bouton qui ouvre la porte… Ah, vous êtes bien barrée… Tiens, il vous parle… Par où passe-t-on ? Comment ça ? Douze kilomètres, c’est pas la mer à boire, non ? Il n’a pas de GPS, le bougre ? Non. Et se serait-il renseigné, en mec dont le boulot consiste, tout de même, à conduire des groupes d’individus d’un point A à un point B ? Non.
Formidable. La région ne manque certes pas de routes, néanmoins, vous en connaissez bon nombre où vous ne vous aventureriez pas au volant d’un tel engin… La maîtresse vous sort de ce sac de nœuds en suggérant un détour conséquent qui laissera le temps à la pluie de cesser. Formidable.

Le lac est couvert d’une brume inquiétante. Le décor est digne du monstre du Loch Ness. Mais qu’alliez-vous faire dans cette galère ?
Jacques et Christophe, les moniteurs, ne perdent pas de temps : constitution de deux équipes, de binômes et, bon gré mal gré, on grée. Avant de se lancer toutes voiles dehors, Jacques explique aux équipages les règles d’un jeu : les petits mousses sont des explorateurs qui vont gagner des merveilles, épices, animaux, terres inconnues, à chaque épreuve. C’est malin. Le taux d’adrénaline des trente mousses atteint des sommets inquiétants…



Tout ce beau monde se jette à l’eau, et, incroyable, file toute rame dehors, eh oui y a pas de vent…, au bout du lac et rejoint la berge sans encombre, incroyable. Jacques ponctue cet exploit d’une formule dont il a le secret : « En mer, le plus grand danger, c'est la terre. » Ou Tim. Vous vous souvenez de lui ? Pour sûr ! Pas prête d’oublier la « classe verte »… Tim n’a pas froid aux yeux, ni nulle part ailleurs, il décide de sauter, volontairement, sur l’occasion et  dans l’eau. Au championnat des bonnes idées, il serait un concurrent coriace de la maîtresse…
Cette dernière s’alarme. À juste titre. Tim est plus trempé qu’un bigorneau. Son pull n’a plus d’autre utilité que se coller à chaque pouce de peau pour le maintenir bien au froid. Inévitablement le vent choisit ce moment pour se lever. On est loin du Cap Horn, mais, tout de même, Tim vire rapidement au bleu grelottant. Vous avez bonne espérance que son stage de voile prenne fin prématurément… Aurait-il du change ? Non, pourquoi ? La maîtresse est fort marie que les parents se moquent de ses consignes vestimentaires dûment données et redonnées comme de leur première vareuse.
Jacques met fin à sa déception d’un « Si tu veux beau temps, navigue souvent. » Et les voilà repartis. Après avoir gréé correctement leur embarcation. Jacques a une pédagogie bien à lui : fais n’importe quoi, lance toi et on corrigera ensuite, si tu n’as pas coulé. Sympa. Et Jacques porte bien son nom : une fois tous les matelots au milieu du lac, il joue à « Jacques a dit… ». Si. C’est vrai. Jacques a dit lève un bras, Jacques a dit lève une jambe. Saute. Il n’a pas dit « Jacques » ! Heureusement Tim est trop frigorifié pour l’écouter…


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