La voile (partie 1)



Bizarre. Saugrenue.
Ce sont ces adjectifs, avec une pointe de « n’importe quoi », qui vous sont venus à l’esprit pour qualifier l’idée de la maîtresse : un stage de voile.
Bah ? Pourquoi ? C’est sympa, la voile. Plus sympa que coller des coquillages sur une boîte pour la fête des mères. Plus sympa que disséquer des sardines. Plus sympa que calculer le pourcentage de bretons allergiques aux crustacés.
Certes. Mais sur un lac de onze hectares, douze en étant optimiste, paradis des grenouilles, des truites et de la vase… Avec moins de vagues qu’en ferait le plus extraordinaire des ricochets et, dans un fol espoir, un vent force zéro. Impossible d’espérer mieux d’une grosse mare. Non. Franchement… Si elle veut noyer les éléments les plus turbulents, y a mieux comme projet pédagogique.
Imperméable à vos sarcasmes nauséabonds, elle sait depuis longtemps ne retenir que le faible pourcentage qui l’intéresse dans le flot d’inepties dont vous l’inonder, Choupinette est euphorique.
Si euphorique qu’elle s’est laissé emporter par un tsunami d’enthousiasme lorsque la maîtresse a demandé des parents accompagnateurs. Elle vous a nommée, désignée. Dénoncée. C’est ça, dénoncée… Et comme vous avez le courage d’une huître sans perle, vous n’oserez pas démentir. Refuser. Nier fermement toute disponibilité. Opposer votre pied définitivement terrestre à cette folle entreprise.

Le joli mai pointe son nez. Joli mai, c’est vite dit. C’est le mois des saints de glace. Qu’est-ce ? D’aucuns diront que c’est une vieillerie de radoteur aux allures de mythe à la noix. À peine mieux que le père Fouettard. À peine plus crédible que « Noël au balcon, Pâques au tison ». N’empêche. Vous êtes prête à accorder bien du crédit aux dictons.
Car mai n’est pas que joli, mai est aussi le mois de la marmaille et du gouvernail, et en mai, ça caille. Ça peut. Quitte à virer de bord sur un gros étang, pourquoi ne pas viser la semaine où on multiplie les chances d’avoir du gros temps… Alertée par les croyances populaires moyenâgeuses, vous êtes scotchée au site météo depuis une semaine, histoire de savoir si la pluie sera de la partie. Aux sites. Chacun sa prévision. Il y en aura pour tout le monde. Vous consultez, inquiète comme un cormoran un jour d’orage, les prédictions toutes les heures. Et ces clics compulsifs n’ont rien pour apaiser vos angoisses.
À J-7 on annonce du soleil avec des nuages et de la flotte. Super. Comme ça, on est sûr de pas trop se gourer. À J-5 le soleil a disparu. Mince. À J-3 restent les seuls nuages. Ouf. À J-2 retour de la pluie. Mince. Les températures ? Elles font malheureusement l’unanimité avec une constance désespérante et oscillent entre 9° et 11°.
C’est ça, les saints de glace. Dieu seul sait qui les a canonisés. Ce sont des fripons qui n’ont d’autre joie que plomber le moral printanier à coup de thermostat en berne, giboulées et autres joyeusetés. Des saints aux miracles infernaux. Quinze jours plus tôt, l’ambiance était au short et au barbecue, et là, c’est le retour en force du col roulé et de la raclette.
J-1. Il faut préparer la tenue de Choupinette. Nul besoin de maillot de bain. Ce sera gants, bonnet, sous-pull, pull, polaire, ciré, collants et pantalon. Et deux tenues de rechange. Mieux vaut prévenir que guérir, les saints de glace ne vous contrediront pas.
Mais tout espoir n’est pas perdu. La pluie… Il pleut. Il pleuvra. Vous croisez les doigts. Un bon déluge digne de ce nom vous sauvera de cette galère. La maîtresse l’a promis : en cas de fête à la grenouille, le stage se transformera en découverte de la voile en classe. Un concept.
Vous ne voulez pas savoir comment on apprend à gréer assis sur une chaise. Aucune importance. Du moment que vous êtes dispensée de corvée et autorisée à rentrer déguster votre thé bien chaud.

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