U. S. : le restaurant ou vegetables and co... (fin)
À Page, vous tenterez une grève du burger et opterez pour le
Blue Boudha. La traduction française ne mettrait pas l’eau à la bouche : Bouddha
bleu, ça fait plus statuette en toc, voire maladie exotique, que restaurant
japonais branché… Mais en anglais, ça claque. C’est rigolo, ce phénomène… Et ça
marche avec plein de trucs ! En anglais, c’est cool. En français…
Franchement, vous croyez qu’il aurait fait carrière, Elvis, avec « Tout va
bien, maman » ? Pas du tout le titre d’un tube… Et les Doors ? Perception
ou pas, appelez votre groupe les Portes et vous êtes assuré de ne jamais incarner
un poète maudit inspirant le rock pour des décennies. On peut le déplorer.
C’est ainsi.
Et cela ne saurait gâcher votre joie : vous sautillez
d’impatience à la perspective d’un proche tête-à-tête avec une assiette qui ne
vous fera pas ressembler à Mme Patate sous peu. Ô délice, ô extase, brocolis,
carottes, champignons… Vous reconnaissez des légumes dans votre assiette !
Et, miracle, ils sont exempts de toute friture ! Une félicité indescriptible.
Il est donc vrai que l’on ne mesure son bonheur qu’une fois celui-ci perdu. Si
l’on vous avait dit que vous tireriez cette leçon d’une carotte…
Bon. Le serveur a oublié la soupe miso dont vous vous
délectiez par avance. Vous avez attendu une heure vos plats, une heure que,
collés à un aquarium, Choupinet et Choupinette passent à traumatiser de pauvres
méduses illuminées de bleu. Le soda est toujours refill. La note inclut d’emblée un tips de 20% alors qu’au regard de son efficacité et de son
amabilité, vous auriez volontiers conforté le serveur dans l’idée que les
français sont des grippe-sous.
La perfection n’est pas de ce monde. Mais tant qu’il y a des
carottes, il y a de l’espoir.
Choupinet n’est pas de cet avis. Pas du tout. Il s’est
promis de faire une tournée des burgers.
Et il s’y tient. Et, les rares fois où vous négociez âprement une exception, il
râle comme seuls les moins de vingt ans savent le faire quand ils sont
mécontents.
Alors que, dès le troisième jour de régime américain, vous priez le dieu du haricot, le vert, de
venir à votre secours, par pitié pour votre taux de vitamines, d’acide
alpha-linolénique, et de flavonoïdes, Choupinet ne se lasse pas : simple,
double, avec supplément fromage, aux champignons… En dessert, il commande un burger…
Choupinet, le hamburger qu’il préfère, c’est celui qu’il est
en train de manger.
Bon sang ne saurait mentir. La pomme ne tombe pas loin du
tronc. De tel bâton telle écharde. Et tutti quanti. Des plus raccord avec son
rejeton, Nounours, de son côté, s’est lancé dans un comparatif des tee-bones de Californie, d’Arizona, de
Colorado, d’Utah et du Nevada. Rien que ça. Vous n’êtes pas prête de rentrer…
D’ailleurs… Existe-t-il des surtaxes pour l’excédent de
poids ? Comme pour les bagages ? « Désolé, Mr Nounours, depuis
votre arrivée sur notre sol vous avez gagné un excédent de huit bons kilos de teee-bones, auquel s’ajoute trois kilos
de ribs… Vous mettez en péril
l’équilibre de l’avion… ça va vous coûter un max… » Non… Vous délirez. Une
telle mesure, ce serait la fin de tout tourisme aux US.
L’habitude étant mère de l’indifférence, Nounours reste
serein face à vos élucubrations nauséabondes et fête votre arrivée à Las Vegas
au Coco’s. Il commande dans la joie et l’allégresse un steak de 800 grammes
avec une patate de 500 grammes, agrémentée de crème. Épaisse. Pour faire passer
le tout.
« Et comme deuxième accompagnement ? »,
s’enquiert gentiment la serveuse. « Une deuxième patate de 500 grammes et
sa crème, of course ? Des
frites ? À l’extrême rigueur, du riz ? »
Punaise… Qu’est-ce qui cloche chez elle ? Elle connaît
votre grand-mère ? Elle aussi, toute son enfance a été bercée par le crédo
« Mange ! Tu sais pas qui te mangera ! » ? Bah
si ! Justement ! Des petits vers ! Non. Correction. Des gros
vers en surpoids. C’est le problème, avec la chaîne alimentaire, la
malnutrition, ça se répercute ! Mais personne ne songe aux vers, on bâfre
sans s’inquiéter du vers ! Égoïstes !
Nounours est sur le point d’envisager que la carence en
légumes verts ne révèle pas le meilleur de vous, mais, pour l’instant, même
lui, l’adepte du saignant, vacille… « Euh… des brocolis ? Ce serait
possible ? » Yeux ronds comme deux pains à burger. « Some what ? » A-t-on seulement
songé à traduire ce terme en anglais ? Le ciel serait enfin tombé sur la
tronche d’Obélix que la trombine de la serveuse ne serait pas plus effarée.
Sait-elle seulement prononcer ce gros met : « bro-co-li ».
Nounours abdique. Va pour un kilo de pomme de terre.
Plus inquiétants que les plats, et il est dorénavant inutile
de préciser que ce n’est pas peu dire, les autochtones.
À Brice Canyon, vos pas vous mènent au Foster’s Steakhouse.
C’est Nounours qui a choisi. Le nom l’aurait inspiré... Le lieu a tout d’une
carte postale, si on éditait des cartes postales de steakhouse typique (aux U.S. il n’est pas exclu d’en trouver au
parfum bacon… Quand on a de la suite dans les idées…). Oui, si Hopper avait
peint un steakhouse au lieu d’un diner, son tableau aurait ressemblé à
ça.
La porte s’ouvre sur un petit hall où, le temps qu’une
serveuse vous guide vers votre banquette d’où vous pourrez observer la route,
vous pouvez patienter en lisant des cartes postales décorées de personnages qui n’auraient pas
déparé dans une pub des années 60 et qui portent des messages édifiants
tels : Beer will change the
world ! I don’t know how, but it will ! Ou Sometimes I drink water just to surprise my liver. Ou God, grant me the Vodka to accept the things
I cannot change. Ou Alcohol doesn’t
solve any problems, but then again, neither does milk.
Quand on médite sur le pouvoir de la bière à changer le
monde, qu’on boit parfois de l’eau pour faire une surprise à son foie, qu’on
prie pour que Dieu nous accorde la Vodka pour accepter ce qu’on ne peut
changer, ou qu’on reconnaît que si l’alcool ne résout aucun problème, le lait
ne fait pas mieux, sûr, on ne voit pas le temps passer.
Le cerf aux bois immenses qui domine ces cartes aux messages
édifiants plonge, imperturbable, sur une devanture où apple pie, blueberry pie,
pecan
pie et cherry pie n’attendent
qu’une bonne couche de crème ou de glace pour être dégustées. Derrière ces
desserts dignes d’une Bree Van de Kamp, une collection de bières plus
alléchantes les unes que les autres. Que choisir entre une Polygamy Porter qui
stipule sous un décor raccord avec son nom Why
just have one ? ou une Provo
Girl Pilsner, ornée d’une seule jeune femme, mais au sourire et au décolleté
engageant… Quand on songe à la sobriété d’une mousse française… Même leurs
étiquettes de bouteilles de bière, ils les voient plus grandes, plus colorées,
plus aguicheuses… Plus.
Plus, c’est également le terme exact pour qualifier
l’assiette de Choupinet, qui l’entame comme s’il n’était pas sûr d’obtenir ses
2 600 calories au prochain repas, soit l’équivalent d’une bonne journée de
bouffe d’un homme adulte… Mais vous êtes sur le sol d’une nation qui n’a
d’autre solution pour tirer la sonnette d’alarme de l’obésité que de
récompenser les plats les plus ignoblement gras et caloriques du pays par des Xtreme eating awards… ça laisse songeur.
Et ça fait peur.
Peut-être pas autant que les quatre individus en face de
vous. Peut-être. Pas le même genre d’awards.
Quoique… Des assiettes pareilles et des trombines pareilles, ça pourrait finir
dans un film d’horreur digne du Fantastic
Fest d’Austin, Texas. Ces quatre-là ont l’air tout droit sortis des bois de
l’Utah, couteau de chasse à la ceinture, des mains à étrangler un ours et des
dégaines à faire frémir un puma. Vous n’avez jamais vu un puma frémir, certes,
mais vous êtes prête à parier la montagne de frites dont un cuisinier fou croit
que vous viendrez à bout que ça ne frémit pas facilement, un puma…
Ces quatre-là ont la même chevelure. Hirsute avec une pointe
de roux. Vous leur jetez des coups d’œil furtifs : pas envie de voir votre
tête décorer la salle à côté de celle du cerf… Néanmoins, vous êtes venue à
bout du quart de votre hamburger de l’extrême et vous n’êtes toujours pas
parvenue à résoudre le mystère… Quel est le lien entre ces quatre
mastodontes ? Une petite amie et trois frères ? Une fille, deux
oncles et un père ? Une sœur, un père, deux frères ? Impossible de
trancher la question de l’âge : la chasse à l’ours, ça conserve. L’air de
ressemblance est patent, mais est-ce génétique ou à force d’arpenter les bois d’un
même pas ? En tout cas, la seule chose sûre, c’est que ça fleure les
rapports congénitaux à plein nez, mais que vous ne vous risquerez pas à obtenir
des éclaircissements. Vous ne voulez pas vendre votre peau avant d’avoir vaincu
une troublante blueberry pie…
Les quatre colosses quittent les lieux du pas de qui sait
qu’on ne lui cherchera pas noise, jamais. Vos suppositions suspicieuses n’ont
en rien troublé leur appétit. C’est avec un charriot que la serveuse vient
débarrasser leur table, jonchée d’assiettes et de vases. On ne peut décemment
pas nommer verre un récipient capable de contenir deux litres de boisson. Pas
étonnant que l’image du garçon de café en chemise blanche et tablier noir, un
plateau avec un ballon à la main, ça leur semble formidablement exotique, aux
ricains, exotique à la Gulliver chez les lilliputiens… Comme cela doit être
délicieusement déroutant : nos petites villes, nos petites rues, nos
petites maisons, nos petites autos, nos petits amuse-gueules…
Rassurez-vous : tout n’est pas immense dans l’Utah. Bryce
Canyon est un parc fantastique, propice à la chasse au squirrel : effrayer les petits écureuils est devenu le
passe-temps de Choupinet et Choupinette, on se paye les terreurs qu’on peut.
Ils sont prêts à crapahuter des heures et des heures pour obtenir le plus grand
nombre de Tic et Tac terrorisés. Il reste à espérer qu’à Yosemite la peur ne
change pas de camp…
Mais ceci est un autre chapitre.
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