Les devoirs (partie 2)
Et la
primaire n’est qu’un amuse-bouche…
Vous
compreniez qu’un instituteur ne puisse dominer parfaitement toute la palette
proposée aux écoliers ? Avec le collège vient le temps des experts.
Mme F.,
professeur de français, a appris à lire avec Flaubert et Diderot. Elle avait
cinq ans. Elle aime rappeler que son cours n’est pas poudre de perlimpinpin et
lapin sorti du chapeau de son imagination délirante. Pour ce faire, elle truffe
ses séquences de petits mots obscurs et terrifiants : anaphore,
stichomythies, zeugma… Autant de définitions à savoir sur le bout des doigts.
Ses contrôles sont un joyeux mélange de grammaire, de conjugaison et d’analyse
littéraire. Comme si son collègue mathématicien interrogeait à la fois sur
l’arithmétique, la géométrie et l’algèbre.
Mme A.,
professeur d’allemand, tient son accent de son papa. Son objectif ? Des
élèves bilingues en trois ans. Son secret ? Vocabulaire. Vocabulaire.
Vocabulaire. Par tranche de cent.
Mme S.,
professeur de SVT, dissèque des grenouilles au petit déjeuner et est allergique
aux synonymes : la science est exactitude, son cours doit être su à la
virgule près. Sans cela, on se retrouve avec une appréciation à déclencher les
foudres parentales : « manque de sérieux et de rigueur ». Parce
que Choupinette a remplacé sans frémir « donne » par
« offre »… Que cela change-t-il à la compréhension de l’appareil
respiratoire ? Seule Mme S. le sait…
M. H.,
professeur d’histoire, aime les cartes, les dates et les interrogations
surprise…
À vrai dire,
tous en raffolent, des surprises.
Conséquence ?
Lorsque Choupinette n’a pas de devoirs, elle a des devoirs.
Car il est
convenu que, chaque soir, les leçons du lendemain sont scrupuleusement lues,
voire apprises. Prenez une journée, donc une moyenne de six heures de cours,
multipliez par dix minutes. Et vous obtenez alors un temps de devoir minimum.
C’est la version optimiste.
Dans la
version réaliste, ajoutez vingt minutes disséminées entre chaque changement de
révision : Choupinette a l’indécence de n’être encore qu’une enfant qui
éprouve un arrachement qui ressemble à de la dispersion à passer d’une matière
à l’autre. Tout aussi indécente est son incapacité à maîtriser un cours dès la
porte de la salle, où a été dispensé ledit cours, franchie… Indécente
également, son incapacité à rester concentrée quatre heures durant… Indécent,
le temps de trajet collège-maison qui vous coûte bien trente minutes. Indécent,
son besoin de goûter à peine arrivée, comme si elle était en pleine
croissance !
Total :
une heure cinquante minutes. Si deux exercices de français, trois de math et un
d’anglais ne viennent pas semer la zizanie ! Si Choupinette, dans son
délire pré-adolescent n’a pas l’idée saugrenue de plomber l’addition de
quarante bonnes minutes à refuser ses devoirs. Au nom de ses droits, ou de son
seul bon plaisir…
Et là,
c’est la version pessimiste. Celle qui vous transforme en Vésuve bien réveillé.
Les hurlements des victimes raisonneront longtemps dans le quartier…
Il ne
s’agit là que du devoir quotidien, le normal, celui du jour de semaine
ouvrable… Or il en existe d’autres… Ceux du week-end, une version cousine et
obèse de la version réaliste.
Et ceux des
vacances.
Traumatisé
par des années d’acharnement sur ses
vacances pléthoriques, le corps enseignant n’a de cesse de faire passer un
message pourtant simple : les vacances sont pour moitié, au moins,
travaillées. Pour préparer les cours, les évaluations, corriger… Du coup, elles
sont drôlement moins pléthoriques.
Pour faire
changer les mentalités, il faut attaquer par les couches malléables de la
population. Les enfants. Et toute bonne pédagogie passant par l’exemple,
pendant les vacances, ils travaillent. Vous n’êtes pas certaine, pas tout à
fait, qu’ils en retireront la bonne leçon. Mais personne ne vous demande votre
avis.
Enfin, si,
lors du questionnaire de fin de trimestre dont les parents d’élèves feront la
synthèse au conseil de classe. Traduction : peu le remplissent, personne
n’ose émettre de critiques, tout le monde s’en fout. Résultat : les vacances
de Noël n’ont plus rien d’un cadeau…
Cela
commence avec les bagages : DM de math, analyse critique d’un roman,
revoir tout le vocabulaire appris en allemand depuis septembre (septembre ?
de cette année ???), évaluation d’histoire, c’est-à-dire trente
définitions, cinq synthèses et trois cartes à apprendre, exposé en musique
(hein ? du travail ? en musique ? Oui. Le prof a des concerts
jusqu’en juin, pas le temps de préparer des cours, les exposés d’élèves seront
parfaits pour meubler…), rédiger un autoportrait en anglais… Le rapport avec
les bagages ? Tout prendre. Ne rien oublier. Et Choupinette ne va pas vous
aider.
Parce que
lorsque vous serez à cinq cent kilomètres de là, entre une bouchée de foie gras
et deux de dinde, Choupinette n’aura pas, du tout, du tout, envie d’abandonner
cousine Louise et cousin Thomas pour réviser le vocabulaire de la lebensmittel et de weihnachten… Quant à calculer le pourcentage de peluches vendues,
celui des cuisines offertes aux garçons, celui des garages offerts aux filles,
la part de cadeaux revendus le lendemain de Noël… ça ne l’amuse pas, du tout,
du tout.
Tandis
qu’elle maugrée et tente de battre son record du temps de devoirs le plus long
pour cause de mauvaise volonté, vous vous permettez une réflexion. Vous avez le
temps : quand Choupinette n’a pas envie, entre la question posée et la
réponse donnée, vous pouvez démarrer une lessive, vider un lave-vaisselle et
passer l’aspirateur. Ou réfléchir.
Personne
n’a-t-il scientifiquement établi que décembre est le mois de l’année où l’être
humain, grand ou petit, est le plus fatigué ? D’ailleurs, l’immaculée
conception donne ses fruits en décembre pour remonter le moral des troupes,
non ? Et si on fait exploser la pollution lumineuse, c’est pour éviter la
pénurie d’antidépresseurs, non ? La cure de kiwi et d’orange s’impose
également en ce pic neurasthénique de la fin d’année, non ? Alors pourquoi,
pourquoi des devoirs par milliers dans le petit cahier de Choupinette ?
Comment va-t-elle se reposer ?
Choupinette
a toujours l’énergie d’un kangourou sous coke ? Hum. Pas faux.
Malgré
tout, un peu d’organisation saupoudrée d’optimisation s’impose.
Le trajet,
par exemple, c’est une mine de possibilités. Remplacez le charmant « à
quel animal je pense ? » par une interrogation de vocabulaire.
Répondez à « quand est-ce qu’on arrive ? » par « dans dix
chapitres des Derniers jeux de Pompéi ».
Proposez une pause définitions pour vous délasser sur l’aire de Phalempin.
À
l’arrivée, son bulletin trimestriel vous devra une fière chandelle. Mais à
l’impossible nul n’est tenu, toutes les options d’un véhicule moderne ne
viendront pas au bout du cahier des charges.
Avez-vous
déjà évoqué l’exposé ? Oui ? Bien. Mais cela mérite
approfondissement. L’exposé est aux devoirs, ce que grenouilles et sauterelles
sont à l’Égypte. Une putain de plaie…
Tout le
charme de l’exposé réside dans le fait qu’il se réalise à plusieurs.
Choupinette et un camarde. Quel camarade ? C’est tout le sel de cette
réalisation. Le camarade est inconnu au bataillon. Quel est son nom ? Souffre-t-il
de ce mal répandu, l’allergie aux devoirs ? Où vit-il ? Qui sont ses
parents ? Comment le joindre ? Comment ?
Car,
contrairement à l’école primaire où on sait qui a la gastro, des poux ou un
goût prononcé pour les vers de terre, au collège, on ne croise personne :
on dépose au bus et on récupère au bus.
Tout
commence donc avec le numéro de téléphone. Récupérer ce sésame n’est pas une
sinécure. Choupinette est la seule à pouvoir s’acquitter de cette tâche. À
charge pour vous de la harceler efficacement : les vacances de Pâques
approchent, le travail est bien évidemment à effectuer pour la rentrée.
Une fois le
précieux numéro obtenu, trouver une plage horaire commune est la prochaine
Scylla de l’exercice, d’autant que la famille du camarade a l’idée saugrenue de
partir visiter grand-mère à l’autre bout du pays pendant ces vacances.
N’importe quoi. Un mince créneau finit par aboutir à un accord : on
exposera le dimanche après-midi.
Le calvaire
n’est pas fini. On n’est pas loin des quatorze étapes à immortaliser en
tableaux édifiants. Croyez-vous que l’inconséquent, le fou, le sadique qui leur
a refilé ce devoir épineux l’ait accompagné d’une méthode qui rende la croix
plus aisée à porter ? Que nenni.
À charge
pour vous d’apprendre aux néophytes les subtilités d’une recherche, l’interdit
du plagiat, le danger du copier-coller, la valeur d’une source sûre, les
risques des sites amateurs obscurs, l’esprit de synthèse, la nécessité d’articuler
pour être compris, l’intérêt d’un support visuel attrayant, l’importance du
rythme, la nécessité d’une pointe d’humour pour éviter l’assoupissement de
l’auditoire. Quand tous ces messages sont passés, peu ou prou, y a plus qu’à…
Et répéter. Répéter. Répéter. Car lire n’est pas exposer.
Choupinette
et le camarade obtiendront un fier succès. Ils vous doivent bien ça. Et ils ne
vous remercieront pas. Parent, vous n’avez fait que votre devoir.
Ne perdez
pas espoir…
Un jour,
Choupinette fera ses devoirs seule, dans une minuscule chambre d’étudiantes,
loin, très loin de vous. Sans organiser des soirées rhum-crêpes ou des concours
de bière cul sec.
Un jour
Choupinette sera plus couverte de diplômes que Croquette de puces.
Un jour
Choupinette exercera une profession stimulante et épanouissante.
Un jour
Choupinette aura des enfants.
Et vous
serez inflexible : une grand-mère emmène au parc, au cinéma et au musée,
une grand-mère offre des pizzas, des glaces et des bonbons, une grand-mère fait
des puzzles, des gâteaux et des câlins. Mais, jamais, ô grand jamais, une
grand-mère n’aide aux devoirs.
Mais ceci
est un autre chapitre…
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