Les devoirs (partie 1)


Devoir. Le poids des mots, de ce mot…
Cherchez un peu et on vous l’illustre d’un tas de citations tirées du siècle de joyeux drilles, rigolards et fantasques. Vous avez nommé le XVIIe, siècle que d’aucuns qualifient de grand. Racine, Corneille, La Bruyère... : aucune des nuances de ce petit mot ne leur échappe. Ça en impose, non ?
« Ce qu'on doit faire, ce à quoi l'on est obligé par la loi ou par la morale, par son état ou les bienséances. » Littré. C’est pas de la définition, ça ? Ah bah si….
Et quand "devoir" se pluralise, alors là… Les devoirs. On en tremble.

Du moins, vous tremblez. Choupinette, elle, hausse une épaule. Aux devoirs, elle oppose ses droits.
Elle a le droit de goûter, le droit d’être fatiguée, le droit de se changer les idées, le droit de s’amuser, le droit de rêver, le droit de se moquer, de s’en moquer. Et elle entend bien les faire valoir, ses droits. En digne enfant de son siècle, elle a le droit de s’exprimer, le droit de dire ses envies, et elle ne s’en prive pas.
Mais les enseignants sont d’un autre âge. Ils n’entendent rien aux droits, font de leur classe des îlots dictatoriaux où seules leurs lois s’appliquent, avec intransigeance et démesure. C’est du moins ce que Choupinette vous rapporte…

La problématique "devoirs" a commencé avec l’école primaire.
D’une année l’autre, vous avez goûté à toute une palette de positions enseignantes : le pluriel n’est pas qu’une question d’accord. Ou plutôt, si. Enfin… Sans l’accord de Choupinette, les devoirs, c’est pas de la tarte…

Que l’instituteur s’avise de suivre les directives, soucieux de ne pas creuser le fossé entre ses ouailles livrées à elles-mêmes dés seize heures et ses ouailles serrées de si près par des matons parentaux qu’elles en étouffent, et il ne donne aucun exercice écrit à réaliser à la maison. Perverse, Choupinette réclame des devoirs !
Vantez-lui les vertus des jeux de société, de la lecture… De la liberté tout bonnement ! Elle vous répond : nécessité d’approfondir, de revenir sur ses acquis pour mémoriser, habitudes à prendre, nécessité d’acquérir progressivement le goût du travail…
Sans devoirs, Choupinette hurle son ennui. D’autant plus ennuyeux qu’elle et vous partagez le même toit… Inoccupée, elle vous tourne autour sans répit, « dis, maman, on jouuue » devient sa litanie, avec des variantes : « dis, maman, tu m’aides à… », « dis, maman, tu me prépares un… », « dis, maman, tu m’apprends à jardiner/ cuisiner/ coudre ? »… Vous confondez azalée et pensée, avez traumatisé plus d’un fond de poêle, raccommodez comme Frankenstein coud ses monstres. Peu lui importe.
Vous tentez alors, soucieuse de son épanouissement et de votre tranquillité, de créer des exercices d’application. Efforts inutiles. Vous n’êtes pas l’instituteur, vous n’êtes rien. Seul lui a le pouvoir de diffuser le savoir, seul lui peut disposer de vos fins d’après-midi comme il l’entend. Vos dictées ? Vos additions ? Absurdes, inintéressantes, erronées. Illégitimes. Vous n’avez pas le droit de donner des devoirs.
Ce n’est pas faux… Conservez sérénité et patience : plus que neuf mois et ce sera une autre classe, un autre enseignant, d’autres devoirs…

Après la disette en exercices, vint le temps de la maîtresse boulimique anorexique. Tout le charme est dans la surprise et l’alternance. Un peu comme des Présidentielles. Quinze jours sans leçons, sans lectures, sans poésies ou autres divertissements. Et, tout à coup, sans prévenir, pour ne pas gâcher le potentiel, certainement comique, de la chose : évaluations de grammaire, conjugaison, vingt exercices de mathématiques, connaître, illustrer et interpréter (interpréter ?) Liberté d’Éluard, apprendre en trois jours une leçon d’histoire de vingt pages commencée depuis quatre mois, rédiger la critique d’un roman à lire pour hier. La phase d’abstinence en exercices n’aide pas à digérer le menu de la semaine. Il est bien sûr inutile d’envisager l’apprentissage de l’autonomie.
Les « ma chérie, ce sont tes devoirs, il serait injuste que maman t’aide à les remplir efficacement, d’ailleurs elle va de ce pas siroter un Perrier menthe dans une chaise longue pendant que tu trimes » : oubliez… Son chemin de croix est votre chemin de croix. C’est ça, un enfant : jamais vous n’avez prononcé devant une assemblée attentive « pour le meilleur et pour le pire, oui, je le veux », mais tout le monde s’en fout, c’est tacite, inclus dans le lot épisiotomie-insomnies-pipi au lit et j’en oublie…

La cerise sur le millefeuille de devoirs, c’est la vie sociale.
Que tonton Charles fête ses cinquante brillantes années d’existence un week-end hors période estivale, quelle idée ! Que Jules épouse votre amie d’enfance dont vous ne pouvez qu’être le témoin un samedi, quelle idée ! Que Lucie vous invite à la crémaillère de sa villa avec piscine tout un weekend, quelle idée !
N’ont-elles pas des devoirs, toutes ces sinistres cigales qui ne pensent qu’à danser quand le printemps fut venu ! Ne pas finir en anachorète repu de leçons et d’exercices va exiger des trésors d’organisation, des ruses infinies pour vivre des passages à l’heure d’hiver tous les jours de la semaine.

L’orgie de devoirs est certes écœurante, mais elle n’a pas la saveur des leçons-boulettes. Ces leçons de l’instituteur qui n’est pas encore en âge d’en avoir… Pas des boulettes. Des enfants. Alors pourquoi lui confie-t-on les vôtres ???
Parce que recruter des individus sains d’esprit prêts à sacrifier leur patience, leur santé et leur compassion pour un salaire de misère et la vindicte populaire, c’est de moins en moins facile, facile… Faute de grives…
Pour le coup on apprend des trucs. Faux. Mais ça change. Cela peut même être divertissant. À l’apéro, cela permet d’éviter le laïus sur le printemps qui se fait attendre…
Il y en a pour tous les goûts. L’instituteur qui ne sait pas compter, moins que vous… Si, ça existe ! Celui qui vous terrifie et écrit : « Choupinette a du mal a ce concentré, j’aimerai vous rencontré pour en parlé ». C’est ça, parlons-en, ça vaudra mieux… Celui qui oublie toujours les heures de sport de la semaine. Comme vous le comprenez. Celui qui tente des expériences hasardeuses en physique aux résultats aléatoires défiants toutes les lois qu’on croyait connaître jusque-là, résultats qu’il justifie par la découverte d’ « anomalies » qui devraient intéresser la NASA. À moins que l’intervention de Tim dans le déroulement des opérations ait eu une incidence non négligeable… Celui qui tue dans l’œuf à coups d’accent béret-camembert toute possibilité de maîtriser un jour prochain la langue de Shakespeare. Celui qui ne comprend rien à aucun des deux termes composant les « arts plastiques »…
Bon. Il est facile de pimenter ses soirées en assaisonnant autrui… Mais, franchement, n’est-ce pas surhumain de maîtriser chacune de ces matières ? Attend-on vraiment des enseignants qu’ils soient infaillibles ? N’ont-ils pas droit à l’erreur ? N’ont-ils pas le droit, même, d’être fatigués ? Préoccupés ? Humains, simplement ?
Non. Aucun droit. Car leur sont confiés nos biens les plus précieux, notre chair, notre sang ! Gnagnagna. N’empêche que le retour de manivelle s’impose : pas de droit ? OK. Vous aurez des devoirs.

Et la primaire n’est qu’un amuse-bouche…

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Jamais déçue (partie 1)#Santos americandream

Jamais décue (partie 2) #Javier# libertarien#ausecours

L'essentiel clown #Guerriau#extraecsta