Le sport
Choupinet a
voulu faire du foot. Comme tous les garçons de sa classe. Mais vous avez eu des
arguments imparables.
Primo,
si le mercredi peut être sacrifié sur l’autel des activités, le week-end doit
rester un oasis sacré : y a quand même un soit disant barbu qui a affirmé
que le dimanche est un jour de repos. Et
non de match. Deuxio, le foot nuit
gravement au vocabulaire : les entraîneurs apostrophent les poussins avec
des termes à faire frémir un charretier et les interviews de footeux célèbres sont
éclairantes sur ce point. On peut les trouver comiques, surréalistes,
effrayantes, poétiques dans le meilleur des cas. Mais grammaticalement
correctes et lexicalement riches ? Non. Tertio, la pratique du foot dans l’enfance conduit tout droit à la
bedaine qui déborde du jogging douteux, à l’overdose de chips et de bière le
samedi noir devant la télé. Quarto, courir dans tous les sens par toutes les
températures et tous les temps possibles, ça s’appelle de la folie. Ou de la
torture. Cela dépend du caractère volontaire ou non du coureur.
Toutefois,
malgré votre goût pour la tyrannie pleinement assumé, vous n’avez pas pu dire
non à tout. Vélo, roller, skate, ping-pong, judo : Choupinet a tout testé
et vous avez tout accepté, trop heureuse d’échapper au ballon con.
Et comment
le blâmer ? Après tout… Même vous, une fois par an, vous envisagez de vous
lancer, de reprendre votre pauvre enveloppe charnelle en main : natation,
footing, simple marche… Les 31 décembre passent et vos bonnes résolutions
varient à chaque douze coups de minuit. Mais vous n’êtes pas une Cendrillon du
31. Jamais vous ne vous êtes retrouvée métamorphosée, d’un coup de champagne
magique, troquant soudainement talons hauts contre baskets. Non, vous,
invariablement, vous vérifiez l’adage : les bonnes résolutions sont faites
pour ne pas être tenues.
Sitôt les
brumes festives dissipées, vous jugez plus opportun de cuisiner la courgette
dans tous ses états pour résorber les excès de la fin d’année. La mise au vert,
ça ne fait certes pas rêver, mais c’est
moins douloureux que de se découvrir des muscles cachés, des muscles obscurs et
profonds dont on ne sait même pas le nom, des muscles si intensément endormis
qu’aucun prince ne pourrait venir à bout de votre sortilège de paresse.
Faire du
sport ? Quelle idée… Il faut que vous arrêtiez le champagne, ça vous rend
totalement délirante.
Le sport,
quel vilain mot. Entre porc et speuhhh, qui, certes, n’existe pas et donc rime
à pas grand-chose, tout comme le sport, mais a indéniablement des sonorités peu
ragoûtantes. À quand le mouvement « balance ton sport » ?
Le sport
commence avec les vestiaires. Un lieu où on ne se rend que sous la plus grande
contrainte, c’est évident. C’est une agression des sens effroyable. Vous en
prenez plein le nez, des relents de vieilles chaussettes et de baskets
défraîchies, agrémentés au mieux d’effluves de javel. Vous en prenez plein les
yeux, une farandole de vieux slips et de boudins adipeux. Vous en prenez plein
les oreilles, ça piaille et ça rit fort, ça glousse et ça jacasse. Une horreur.
Il faut
croire que vous êtes insensible aux charmes de la promiscuité. Ce qui n’était
pas le cas de votre prof d’EPS de 5e, ça non. Il développait des
stratégies dignes d’un grand chef Sioux pour arriver au moment opportun donner
des informations primordiales sur le cours à venir, moment opportun qui
coïncidait avec le déshabillage d’une trentaine d’adolescentes en fleurs et en
boutons. Pas folles, les guêpes avaient retardé le plus possible l’effeuillage.
Le prof avait fait de même avec son débarquement. Il avait même songé à
instaurer une douche obligatoire, et mixte, suscitant chez vous des visions des
plus angoissantes. Vous n’avez jamais su pourquoi ce projet hautement
pédagogique ne vit pas le jour, mais vous bénissez encore les bonnes âmes qui
ont freiné ce pervers des vestiaires.
Passons :
après tout, l’essentiel du sport se joue ailleurs. Dehors. Sur le stade. Et par
tous les temps. Du moins c’était la théorie du forcené ganté, doudouné et
bonneté qui vous imposait short et t-shirt pour courir autour du stade de
septembre à juin. Sans pause hivernale. Il convient de préciser que ledit stade
était situé en un département montagneux au climat contrasté. Bref, en hiver les
chats ronronnaient au coin du feu et les enfants auraient bien fait de même. Mais votre fou furieux aurait-il pleinement goûté le confort douillet et
moelleux du molleton s’il n’avait pu apprécier le contraste avec la légèreté du
coton sur vos jambes bleutées ? À moins qu’il n’ait souhaité appliquer le
foireux adage « un esprit sain dans un corps sain ». Vous l’auriez
bien soupçonné d’avoir mal interprété Juvénal, encore aurait-il fallu qu’il
lise.
Au moins la
course est-elle une activité solitaire qui ne vous valait aucune humiliation
particulière. Il n’en allait pas de même avec le basket, le hand et autres jeux
en ball. Qui dit ball dit équipe. Et qui dit équipe dit choix des équipes. Des
moments inoubliables. Répétés semaines après semaines, années après années,
sans variation. Aucune. Les capitaines se battaient invariablement pour vous
refourguer à l’autre équipe. Pourtant vous n’étiez ni cul-de-jatte ni atteinte
de la peste bubonique. Vous mangiez consciencieusement des pastilles de menthe
aux intercours. Non, vous souffriez d’un bête déficit de popularité. Et pour
jouer à la balle, ça ne pardonne pas. Alors vous avez regardé pendant de
longues minutes vos camarades être élus les uns après les autres, quitter le
troupeau, s’éloigner auréolés de fierté et de sueur. Et vous, vous attendiez, mortifiée, honteuse,
prête à brader vos neurones contre un soupçon d’agilité et un brin de bagout.
Cela vous donnait le temps de songer à la torture qu’enduraient vos camarades
lors des remises de copie, remises ordonnées. Et pas dans l’ordre alphabétique.
Le tour de Kelly et Davina viendrait. À la fin. Les reines du basket ne
savaient ni orthographier panier ni calculer leur pourcentage de buts réussis. Piètre
consolation : vous avez le mollet maigrelet et l’âme tendre.
Si tendre
que vous gardez un souvenir terrifié des cours de gymnastique. Le phénomène
chargé de vous initier à l’équilibre et à la grâce avait tout d’un instructeur
de commando parachutiste. Il avait dû réussir brillamment l’épreuve
d’agressivité, ponctuant ses interventions percutantes de « couilles
molles » et autre encouragements fleuris, indifférent à la mixité de la
classe. Il vous faut bien reconnaître que « bouge ton gros cul feignasse »
ne vous a en rien fait progresser dans votre maîtrise navrante de la roue.
Votre prestation aux anneaux est restée singulière et votre interprétation du
paresseux sur sa poutre n’a toujours pas été homologuée…
Votre crawl
désordonné non plus. Respirer, bouger bras, jambes et tête, c’est bien trop à
la fois ! Certes, vous vous êtes rapidement obstinée à faire la planche.
Mais là encore, vous doutez de l’efficacité pédagogique des perfidies assénées
à grands coups de perche par une hystérique en maillot de bain rouge qui se
gardait bien de glisser un orteil dans un bassin glacé. Oui, c’était en été.
Mais a-t-on idée de construire des piscines découvertes à 1 200 mètres d’altitude ?
Hum…
Le bilan
est clair. Le sport rend fou, agressif et pervers. L’atténuation des bourrelets
est une bien trop maigre compensation.
Mais
ceci est un autre chapitre.
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