Décembre (partie 2, suite et fin)
L’enfer de Noël, ce sont les décorations. Le kitsch a été
inventé pour donner un alibi pseudo culturel à des fondus de figurines
outrageusement colorées et ignoblement hilares. Même quand elles sont
perfidement enfermées dans des petites bulles de verre remplies d’eau et
d’imitation de flocons. Ce qui ne donnerait le sourire à personne. Sans compter
que les enfants ont inévitablement envie de secouer les malheureuses créatures.
Comme bon nombre d’envies enfantines cela se termine donc par des disputes, des
propos et des gestes inconsidérés.
Inévitablement, de même que la tartine couverte de confiture
tombe toujours, toujours, toujours du côté confiture, le plus souvent sur un
pull délicat fatalement tâché le jour où vous étiez déjà en retard alors que
vous aviez douze mille rendez-vous incroyablement urgents… Pause. Force est de
reconnaître que lorsque vous portez un vieux t-shirt rongé par les mites et que
vous avez la journée devant vous pour buller, ce jour-là, la tartine se tient à
carreau : patiente, elle attend son moment pour tomber du côté obscur, ce
moment qui vous donnera envie de tout plaquer pour ouvrir une baraque à frites
sur une île obscure de Polynésie prochainement engloutie par la lente et sûre
montée du niveau des eaux…
Inévitablement, donc, la figurine choit. Et se brise. En
milliers de petits morceaux qui lutteront de perfidie avec la tartine pour se
dissimuler et se planter dans un bout de chair tendre. Des petits bouts
tranchants de boule à neige vous en retrouverez jusqu’en juillet. Noël ne se
laisse pas oublier si facilement.
L’enfer de Noël, c’est la chasse aux cadeaux
Reine de l’organisation, votre exploit, avoir bouclé TOUTES
vos emplettes courant octobre, est réduit à peau de chagrin par belle-maman qui,
non contente de débarquer une semaine avant le carnage prévu, vous mandate à
J-4 pour trouver LE cadeau qui comblera d’aise Choupinet. Car vous le
connaissez si bien, vous, personne ne pourra faire mieux que vous ! Allez,
zou, en route petit lutin ! La flatterie et les comparaisons idiotes ne
vous mèneront nulle part, belle-maman, mourrez-vous d’envie de cracher. Enfin… Vous,
cela vous mène en ces lieux que vous avez tout fait, depuis deux bons mois,
pour éviter soigneusement.
Et si vous en profitiez pour échanger le chemisier en soie
du bleu préféré de belle-maman par une super râpe électrique pour la corne des
pieds ? Délicieuse idée. À méditer. Vous avez le temps de méditer, cela
fait deux bonnes heures que vous êtes coincée dans un bouchon pour atteindre le
centre-ville. Un bouchon de Noël. D’habitude, ce même trajet prend, dans la
pires des configurations, vingt petites minutes.
Vous garez en centre-ville : un vœu qui a tout de
l’oxymore en ces jours qui précèdent les fêtes… Au bord de l’épuisement et de
la crise de nerfs, mélange subtil dans lequel vous excellez, vous finissez par
dégoter une petite place à moins d’un kilomètre de la libraire où vous savez
que vous trouverez la bande dessinée qu’attend ardemment Choupinet.
Rupture de stock. Et ils viennent de vendre la dernière au
petit brun que vous avez croisé en entrant. La tentation d’expérimenter les
joies du vol à la tire est forte… Mais vous avez de vieux restes de votre
catéchèse, maudite soit-elle…
Vous êtes immédiatement punie de vos horribles pensées. On
n’est pas en période pré-nativité pour des prunes. Un suppôt divin a embouti
votre voiture en quittant sa place. Et pour que votre châtiment soit complet,
il s’est bien gardé de laisser son numéro sur votre pare-brise… Et si vous
ajoutiez dans votre hotte, pour belle-maman, une lunch box « don d’organes » ? Une brosse WC pistolet ?
Un déambulateur pliable ? Non… La facture de votre carrossier. Ce sera
parfait.
Vous recommencez… Rentrez vite, autant que le bouchon de
Noël, qui marche dans les deux sens, le permet, ou, avec ce flot d’ignobles
idées, vous allez devoir appeler un taxi.
L’enfer de Noël, ce sont les routes. La neige débarque sans
prévenir la veille des vacances. Comme si les marmots n’étaient déjà pas
suffisamment survoltés ! Choupinet dort, l’insouciant. Il commence plus
tard, justement, en ce matin à ne pas mettre une patte dehors. Le chat ne s’y
trompe pas. Pas un miaulement pour exiger que vous lui ouvriez. Les moineaux
peuvent bien le narguer, il restera du bon côté de la baie vitrée.
Pas de bus. Vous avez le privilège de conduire Choupinet… Et
non, non, le paysage n’est pas magnifique. Paradis blanc, tu parles… C’est un
coup à s’y retrouver… Sous les dix centimètres de neige, du verglas il y a. Une
vraie patinoire. Vous avez beau partir en avance… Il faudra plus d’une heure
pour parcourir un trajet de dix minutes… Choupinet arrivera en retard au cours
de musique, qu’il ne pouvait rater bien sûr… Essentielle, une heure de musique…
Qui n’aura de toute façon pas lieu : son prof a fini dans le fossé, les
roues côté droit levées, pliées, en une position étrange… Il va être ravi, le
musicien : avec le salaire mirobolant qu’il touche, il avait certainement
prévu de changer sa vieille caisse en cette fin d’année…
Enfin… Choupinet glisse jusqu’au portail : vous avez
accompli votre devoir. Sottement. Sans songer qu’une journée à bouquiner au
coin du feu aurait pu lui être tout aussi profitable. Vous pouvez rentrer chez
vous et méditer sur le sort des givrés qui ont pris le volant sans pneus neige.
Camions imposants en travers de la nationale, 4x4 arrogants dans le talus,
berlines étincelantes aux trajectoires imprévisibles : la neige est démocratique.
C’est suées froides et peur glaçantes pour tous. Si vous sortez de là sans
dommage, vous prendrez la résolution de
museler votre noir esprit. C’est vous donner un blanc-seing confortable. Les
résolutions ne sont pas faites pour être tenues.
Vous arrivez enfin au bercail, le retour a été plus
périlleux encore que l’aller. Vous appréciez donc pleinement le message du
collège qui s’affiche sur votre portable. Alerte neige. Traduction : le
ramassage scolaire ne sera pas assuré ce soir. À l’accident collectif qui
ferait la joie des journaux de 20 heures sont préférés les accidents
individuels qui agrémenteront les colonnes du journal local. Charmant.
Vous envisagez sérieusement d’offrir l’opportunité à
Choupinet de passer ses vacances au sein de son établissement. Sûr que ce n’est
pas sur la liste que vous ne lui avez pas fait écrire. Ce serait une sacrée
surprise. Mais bon. Nounours n’aime pas les surprises. Inutile de déclencher
son courroux.
Vous partez donc sur les routes enneigées à peine deux
heures après être arrivée. Enneigées, les routes le sont pendant 500 mètres.
Ensuite les services départementaux ont été d’une efficacité secondée par un
beau soleil. Cette salope de neige a totalement fondu. La garce. Dommage pour
celles et ceux qui ont froissé de la tôle à tout va quelques heures plus tôt.
La patience tu apprendras. Gnagnagna.
Vous êtes en avance. Prévoir un trajet de plus d’une heure
était diablement inutile. Vous pouvez poireauter devant l’établissement et
profiter des températures hivernales. Choupinet finit par arriver. En t-shirt.
Il a laissé sa doudoune dans son sac, comme il se doit. Il faudra qu’on vous
explique le métabolisme de la nouvelle génération, totalement inadaptée au
réchauffement climatique. Choupinet a faim. Malheur…
L’enfer de Noël, c’est choisir le repas idéal. Sans
crustacés, tonton Hubert est allergique. Sans lactose, tatie Léontine est
allergique. Sans gluten, Choupinette est intolérante. Sans escargot. C’est
ballot, mais ça a une coquille, l’escargot, c’est donc considérer comme un
crustacé… Et oui… La quadrature du cercle, à côté, c’est pipi de chat ! Or
vous allez résoudre l’épineux problème, vous n’avez pas le choix, et pas même
un prix Nobel à la clef ! Si vous arrachez un merci à un convive, ce sera
le bout du monde…
Alors vous envisageriez bien un festin sans vous aux courses
et aux fourneaux, mais tout le monde est allergique à cette idée. Dommage.
Vous vous attelez donc à cette équation aux multiples
inconnues : concocter un repas digne de ce jour unique sans homard ni
langoustes ni crevettes ni saint jacques ni huîtres ni escargot, sans truffes
ni morilles, sans crème ni fromage ni bûche, sans mangue ni litchis ni ananas.
Et vous en oubliez. Car il n’y a pas que les allergènes, il y a les
« j’aime, j’aime pas »…
Le résultat ? Choupinette refuse catégoriquement la
moindre bouchée de foie gras alors que vous avez déniché au péril de votre
équilibre psychique fragile, après une tournée des boulangeries bondées du
département, du pain aux graines sans gluten acceptable… Choupinet préfère jouer que manger. Une fois dans
l’année. Lui qui laisse votre frigo exsangue après chaque repas les 364 autres
jours de l’année. Tatie Léontine préfère faire l’impasse sur le chapon :
sa chair tendre lui rappelle trop la couleur du lait. Le cousin Tim recrache sa
salade de fruits : il est tombé sur de la banane, il déteste la banane.
Notez-le. Pour la prochaine fois. S’il y en a une. La cousine Lucie se couvre
de boutons : il semblerait que s’être gavée de chocolat ait déclenché une
réaction à une allergie nouvelle.
L’enfer de Noël, ce sont les cadeaux. Sujet plus épineux
qu’un cactus de Noël. Un vrai cactus. Avec des piques et des piquants, couvert
d’épines blessantes à souhait, un truc hostile, tendance agressif. Pas une
vague plante grasse qui fleurit en plein hiver, n’importe quoi. Ça n’existe
pas, un vrai cactus de Noël ? Ça devrait. Métaphoriquement plus juste
qu’un bête sapin aux douces branches.
Parce qu’il y a pire que la chasse aux cadeaux : le
déballage. Entre les « trop petit », « trop grand »,
« pas ma couleur », « j’avais mis ça sur ma liste,
moi ? », « j’aime pas les surprises », « j’ai vu les
mêmes dans une braderie », « oh, un troisième appareil à raclette…
Fallait pas », « dix savons parfumés ? C’est un message ? »,
« chocolats, livres de cuisine… Personne n’a retenu que je faisais un
régime ? », « crèmes antirides et anti-vergetures… Je suis
vraiment sensée bien le prendre ? »… Et vous en oubliez. Si vous
échappez à une fin de banquet à la mode Astérix, avec belle-maman bâillonnée au
cactus de Noël, tatie Léontine frappant à grands coups de chapon le cousin Tim
qui tente d’étrangler la cousine Lucie qui se défend en crachant des morceaux
de macaron… Tonton Hubert ? Il régurgite discrètement tout le liquide
qu’il a absorbé dans la salade de fruits.
Bon. Vous exagérez. Un chouïa. Si vous échappez ne serait-ce
qu’à la moitié de ce tableau apocalyptique, ce sera un Noël réussi. N’empêche…
L’enfer de Noël, c’est que ça recommence dans un an.
Mais ceci est un autre chapitre.
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