Décembre (partie1)
Décembre, mois de froid et de ténèbres. Mois de de neige et
de boue. Mois de tempêtes et d’arbres déracinés. Mois de verglas, de jambes et
de voitures brisées.
Et pour couronner le tout : Noël.
L’enfer de Noël, ce sont les chants. « Vive le vent,
vive le vent… » Gnagnagna. Vive le soleil et les mojitos en terrasse
oui ! Franchement. Quel abruti peut songer sérieusement une demi-seconde
que le fait de chanter va faire oublier les pieds gelés, le nez rougi et
l’épidémie de grippe qui sévit ? Qui ?
Si vous aviez pu supporter une demi-heure des chants
hypocritement mignons et outrageusement joyeux, les grands magasins ont mis
inéluctablement fin à cette terrible possibilité. La grande surface, c’est monstrueux. C’est
pire avec Jingle bells en boucle. Ça
donne des envies de suicide. Ou de meurtre. Étranglé par une guirlande, une
boule rouge enfoncée dans la gorge : le père Noël ne sévira pas cette
année. Ça ferait une sacrée une pour un 24 décembre…
Mais pour trucider une créature d’une telle puissance
marchande, encore faudrait-il en avoir la force. Et en sortant d’un centre
commercial, de force, il ne reste guère.
L’enfer de Noël, ce sont les supermarchés. Ils sont
infréquentables des semaines avant le jour de l’orgie programmée. Le reste de
l’année ils relèvent déjà de l’insupportable… (Si une overdose de papillotes
obscurcit votre mémoire, relisez « Le Supermarché »…) Mais là… Là…
C’est à se demander quand travaillent les foules qui se pressent dans cet antre
maudit. D’où viennent les salaires entiers qu’elles s’apprêtent à sacrifier sur
l’autel de la consommation ? Vous n’habitez tout de même pas une région où
se concentrent tous les retraités et mères au foyer du continent… Vous n’avez
pas d’explication, mais le constat est terrible : à toute heure, chaque
jour, le supermarché dégueule de consommateurs affairés. Aucune accalmie.
Faites votre liste de courses avec la plus extrême
vigilance… N’oubliez pas un précieux ingrédient. Ou gare… Munie d’un seul petit
sac, vous devrez lutter âprement pour avancer, centimètre par centimètre,
jusqu’au rayon adéquat. On roulera sur vos fragiles petons, on enfoncera vos
côtes délicates, on poussera vos frêles épaules sans ménagement…Vous sortirez
exténuée de cette marée humaine, maudissant la recette qui spécifie que la
coriandre apportera une touche délicieusement odorante et visuellement
charmante au tajine dont vous allez régaler vos convives. Évitez, à votre
retour, de lire la note de bas de page qui spécifie que le persil fait tout
aussi bien l’affaire, et, même, qu’on se passe très bien de cette petite touche
verte, somme toute négligeable. Vous en perdriez la raison et l’appétit, quant
à votre philanthropie, elle est restée garée sur le parking.
Avec l’humanité, le sourire, la bienveillance et leurs amis.
Et ils ne sont pas jouasses. Faut les comprendre. Ça caille sévère : on
est en décembre…
Noël, c’est une fumisterie diabolique : on nous gave,
mais pas de bons sentiments. Si l’esprit de Noël s’achetait, pas sûr qu’on en
trouverait dans les rayons. C’est dire. Non. Noël, c’est cruel et sauvage. Tous
prêts à tuer pour dénicher le foie gras qui a survécu à l’épidémie de grippe
aviaire.
Il y a pire que l’oubli d’un bête ingrédient…. Être obligée
de faire un vrai plein hebdomadaire dans cet enfer. Et se risquer dans l’allée
des jouets. Une allée sortie tout droit de l’esprit dérangé d’un Ted Bundy. On
y trouve des calendriers de l’Avent au prix du caviar, des individus prêts à
vous arracher les tripes et en faire une tourte de Noël inoubliable si vous
vous approchez de LA dernière boîte DU jouet commandé par tous les petits
garçons d’Europe qui subissent un habile matraquage publicitaire depuis la
rentrée. Oui. Celle de septembre. On matraque ou on ne matraque pas.
Vous vous éloignez presque indemne : Choupinet et
Choupinet ne regardent pas la télé. Oui. Ils ont une mère tout juste
suffisante, qui ne leur demande même pas de liste de Noël. Trop risqué. Ils
auront des surprises et ils auront intérêt à être contents.
En sortant, vous poussez douloureusement votre Caddie à la
roulette folle. Malédiction du Caddie qui ne connaît aucune trêve. Pas même
celle des confiseurs. Et, sur le parking, vous tombez sur la tente aux sapins. Pourquoi
ne pas en ajouter un à votre monticule d’achat ? Lumineuse idée.
L’enfer de Noël, ce sont les sapins. Vous ne pouvez vous
résoudre à l’artificiel. Vous devriez. Mais vous ne pouvez. Certainement une
histoire d’enfance, un résidu d’illustration de conte à la noix, un étrange
désir de respecter à la lettre « Mon beau sapin, gna gna gnagna! ».
Allez savoir.
N’empêche que le roi des forêts, trois jours dans votre
salon et il fait carrément la gueule. Certes, ses aiguilles ne piquent pas.
Mais, franchement, il ne manquerait plus que ça ! Au quatrième jour, ses
branches s’écrasent lamentablement au sol, privant le chat de ce si amusant jeu
de Noël : faire tomber à grands coups de pattes les boules de verre qui se
brisent si facilement. C’est beaucoup
moins amusant d’improviser un foot de Noël quand l’objet de la convoitise est
déjà à terre.
Vous partagez la déception féline : quelle idée
d’encombrer votre salon plus de quinze jours avant la date fatidique ! Ah
il a fière allure ! Verdure ? Parure ? Mensonges ! Il a tout
d’une serpillière géante et brunâtre malencontreusement balancée en haut d’un
piquet, votre sapin. Pour illustrer la charmante expression « il sent le
sapin », il serait parfait. Mais pour illuminer le jour anniversaire de la
naissance d’un marmot, vous doutez. Même un gosse inconnu, au nom de qui on
n’aurait pas guerroyé, trucidé, converti et tutti
quanti, n’en voudrait pas pour souffler ses bougies.
Certainement un coup de l’industrie. Laquelle ? Vous n’en
savez rien. Mais vendre des sapins qui ont une durée de vie digne d’un éphémère
ne peut que relever du complot. Bien évidemment vous en êtes la victime. Et
vous êtes mécontente. Vous tolérez les sapins quand ils sont verts, odorants et
pimpants. Alors quand ils ont une tronche de déchetterie, rien ne va plus.
Cerise sur la bûche, cela vous rappelle à chaque minute que le 26 à l’aube vous
pourrez enfin vous adonner à la corvée de dé-décoration du sapin et vous
escrimer à l’entourer de son sac pour le conduire en ce lieu auquel il était
clairement destiné depuis le jour où vous l’avez acheté une fortune, de quoi
nourrir une bonne semaine tout un PMA (ou Pays les Moins Avancés : ça sert
de faire réviser Choupinet, même si cela interroge sur le sens festif du prof
de géo qui traite le chapitre de la richesse et de la pauvreté dans le monde en
décembre…) : la déchetterie.
LA SUITE AU PROCHAIN ÉPISODE…
C’est comme Amour, gloire et beauté, mais en hebdomadaire et en mots. À
vendredi prochain donc pour Mariée, mère
et épuisée…
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