Confinement 12

 


Si on vous avait dit qu’un jour pénétrer dans un supermarché vous mettrait en joie. Un peu comme entamer une boîte de chocolats, ou plonger votre cuillère dans une tarte tatin recouverte de chantilly, croquer dans un toast nappé de tapenade, un petit blanc si frais que le verre est perlé de gouttelettes à la main, ou… Finalement, Choupinet n’est pas seul à souffrir de la pénurie.

Punaise, vos rêves vont rester en l’état : les rayons ont été pillés. Plus de pâtes, plus de riz, plus de PQ… Décidément cette étrange surconsommation semble s’installer. Ça mériterait une étude, à la fin de cette plaisanterie. Va-t-on découvrir de nouvelles utilisations, en un sursaut de créativité, pour écouler ces stocks monstrueux ? Comme revisiter le rideau de perles avec trois kilos de coquillettes, isoler la cave avec du papier toilette et utiliser les rouleaux pour, d’une pierre plein de coups, insonoriser la chambre du petit dernier et créer des niches à Playmobil, une rampe à billes, un petit train, des voitures, des animaux rigolos ! Veinard. Garder quelques rouleaux pour jouer à sarbacane-farine. À condition d’avoir également participé à la razzia sur le savon.

Non, c’est vrai, la pandémie a du bon. Elle développe l’imagination et l’hygiène. C’est fou, il aura suffi d’un pangolin malade pour éradiquer la gastro-entérite. Les médecins en ont rêvé, le Covid l’a fait. C’est pourtant pas compliqué de se laver les mains… Le goût des cacahuètes dans les bistrots va en être tout changé… En attendant, plus de savon dans les rayons. Dingue.

Plus de féculents non plus. Vous allez avoir un alibi en béton pour mijoter des légumes à vos chers et tendres. Vous développez des aptitudes insoupçonnées, entre reine de l’improvisation et fin stratège. Il faut reconnaître que vous avez tout de même certaines  dispositions : faire une tartiflette sans pommes de terre ni lardons ni crème, ne vous a jamais vraiment effrayée. Néanmoins, pour faire passer le tofu pour du steak haché, les lanières de courgette pour des spaghettis, vous élaborez des plans retors, tel Napo à la veille de la Bérézina. Au fil des semaines, aucune certitude : après un retour en force, le rayon PQ est à nouveau effroyablement vide. Pourquoi ? Mystère… L’excès de féculents ne devrait pourtant point causer de violentes diarrhées. De toute façon, mieux vaut ne pas chercher à comprendre. Ici, plus de vinaigre. Là, plus de jambon. Un jour, plus de brioche. Un hommage à la moraliste Marie-Antoinette ? Un autre, plus de Javel. Un hommage à Dr Trump ?

Faire les courses devient un troublant mélange de surprise et d’angoisse. Surtout d’angoisse. Tous ces masques, ça vous plombe. Limite, ça vous donne envie d’hurler, de courir et de postillonner en tous sens. Non, ce n’est pas vrai. Pas de courir. Rien ne peut vous donner envie de courir. Même l’attaque d’une horde de pangolins géants assoiffés de PQ.

Heureusement, pour vous occuper l’esprit, vous avez votre liste. Par quoi allez-vous remplacer le traditionnel poulet-frites du samedi midi ? Du quinoa-quinoa ? Il n’est pas certain que vous gagniez une médaille auprès de vos troupes avec de si alléchantes propositions… Concentrée malgré l’adversité, vous cochez soigneusement votre liste : pas le droit à l’oubli quand on sort une fois par semaine… Imaginez un peu…

Rentrer et s’apercevoir qu’on a oublié les yaourts… Argh, non ! Catastrophe ! Vite ! Une corde ! Un pont ! Une compil de Frankie Vincent ! Que vous en finissiez avec cette vie trop horrible ! Bon, les citadins ne comprennent rien à votre soi-disant problème : mais quand on est à une demi-heure de la plus petite boutique…

Mais, au regard de ce que vous ne pouvez barrer de la liste car, non, même en fouillant jusqu’au rayon produits ménagers, il n’y a pas la moindre tranche, même complète, avec ou sans croute, dans tout le magasin, il va réellement falloir penser à raisonner le soldat Choupinet. Le rationnement, il ne comprend toujours pas. Il croit qu’on trouve du pain de mie comme s’il en pleuvait, le bougre ! Récemment, il a ajouté à la longue liste de ses inventions : le sandwich de pâte au beurre, le sandwich de ratatouille, le sandwich de frites, le sandwich de banane-chantilly-chocolat… Forcément… À ce régime-là… Il ne réalise pas : vous courez le risque de vous faire lyncher quand vous prenez les trois derniers paquets de pain de mie format « oui, chez moi, il y a un adolescent » de tout le magasin. Après, vous gardez toujours une main sur le caddie, un œil sur son précieux contenu, prête à vous précipiter vers la caisse la plus proche, mais sans courir hein, sans courir. Vous avez déjà expliqué pourquoi.

Une fois dehors, le coffre rempli de produits, espérés pour certains, inattendus pour d’autres, vous avez l’impression d’avoir joué dans un mauvais remake de « Je suis une légende », avec des zombis masqués prêts à tout pour mettre leur main gantée sur la dernière bouteille de sauce tomate. Et, contrairement à Will, vous n’avez pas de fidèle compagnon pour vous protéger : Croquette n’a pas les crocs pour vous sauver la mise. Il n’est même pas là : il dort. Et s’il était là, il suffirait que le zombi masqué agite un sachet de pâtée pour que vous soyez oubliée. Croquette, un peu comme Choupinet…, n’est qu’un estomac. C’est vrai, la dernière fois que vous êtes revenue du Kebab, bien avant la déconfiture, agitant vos sachets gras et parfumés, ils se sont précipités dans vos pattes, et vous ne sauriez dire lequel des deux se faisait le plus câlin et ronronnant…

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