Confinement 10
Vous alliez chercher votre drive, insouciante et guillerette, ou presque, quand une
inhabituelle file d’attente vous a mis la puce à l’oreille. Ni une ni deux,
vous avez coupé la chique à Barbara et nourri ladite oreille de France info. Mal
vous en prit. Lors de l’heure d’attente qu’il vous fallut pour charger votre
coffre, vous avez pu commencer à entrevoir la foule de petits bonheurs qui vous
attendaient. Vivre enfermée avec Choupinet, Choupinette et Nounours. Seuls.
Mais pour combien de temps ? Vous ne vous posiez pas encore la question… Pauvre
innocente…
Votre coffre n’étant que partiellement comblé, en raison
d’une rupture de farine, papier toilette et sucre, vous vous êtes dirigée vers
le supermarché. Et là, là… Des rayons vides. Entièrement. Sidérée, jetant dans
votre caddie ce que votre main choquée parvenait à attraper, vous vous êtes avancée
vers les caisses où une file d’attente digne de l’ouverture du premier Mac Donald’s en Union soviétique vous a
laissé tout le temps de frémir. L’idée d’expliquer à Choupinet le sens de
« pénurie »… Incroyable que rationner Choupinet n’ait pas arrêté le
gouvernement… Encore un problème que le quidam allait devoir gérer seul. Et
malheureusement ce quidam vous le connaissiez personnellement fort bien.
Non, mais parce que Choupinet a faim. Tout le temps. Piquer
des tranches vingt-quatre heures sur vingt-quatre ? Oui. Inscrire
« pain de mie » sur la liste de courses ? Non. Cela le priverait
de râler abondamment contre votre infâme indifférence à ses terribles tourments
de croissance adolescente. Mauvaise mère. Car, pour être sûr de caler une once
du gouffre qui lui sert d’estomac, il convertit tout repas en sandwich :
sandwich d’omelette de pomme de terre,
sandwich de riz cantonnais, sandwich de gratin dauphinois, sandwich de chili
con carne con pan, sandwich de quiche
aux poireaux… Non. Il faut être lucide. À table, Choupinet fait peur. C’est
simple avec lui sont tombés dans l’abîme un pâle chapon, trois gâteaux de foie,
une forêt noire, des pêches bien mûres…
C’est une échauffourée qui vous sortit de votre terreur
orthographique : une gente dame en tailleur de bon aloi repoussait avec
fermeté une petite vieille chétive (en vrai, c’était pas si caricatural, mais,
en faux, la caricature, on ne saurait s’en passer, non ?) qui quémandait
un des dix paquets de coquillettes qui trônaient dans son caddie. Ma foi, quand
on aime les pâtes au beurre… Il n’y a pas de petit combat. Si ?
Pleinement flippée quant au sort de vos semblables et leur
sens de l’amoral, vous avez fini par vous extirper de cet effrayant tableau
avec un butin enchanteur : menthe, Apérol, Rhum, Perrier, Despé, citrons…
Au moins vous aviez la main heureuse. Ou un subconscient vigilant. Vous étiez
parée pour supporter avec une sérénité toute alcoolisée les récriminations
choupinettiennes. Et, à bien regarder les individus hagards se précipitant vers
leur coffre, c’était bien plus réconfortant que la perspective de se lancer
dans la confection de gâteaux de PQ… Il
semblerait que le sens des priorités soit la chose du monde la moins bien
partagée. Car, pour ce que vous en aviez compris, ce n’était pas une épidémie
de gastro qui était annoncée. Cette frénésie de papier toilette vous semblait
donc bien incongrue. Dans le pire des cas, le virus n’allait pas faire tomber
les feuilles, alors que les arbres à mojito n’avaient toujours pas été créés,
sans quoi votre jardin n’aurait pas manqué d’en être abondamment pourvu.
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