Confinement 11

Rassurez-moi : elle en parle de mes croquettes?


Assez d’émouvant souvenir. Pas d’échappatoire : vous avez éclusé vos apéritives denrées. Vous devez faire les courses. Et pour cela, il vous faut atteindre votre voiture. Ce n’est point une question d’ordre géographique : elle est garée devant votre porte.

Mais, cette porte, il faut la franchir. Donc s’habiller. Donc se doucher. Donc petit déjeuner. Donc sortir de votre lit. Cela fait beaucoup de « il faut »… Or rien de tout cela n’est aisé et naturel. Pas besoin d’avoir chopé le virus pour être clouée au lit… À force d’être confinée, vous vous sentez confite, aussi lestée qu’un canard, gavée d’angoisses. Sortir de votre cocon salon exige un effort surhumain. De là à penser qu’il n’avait pas tort, le président... C’est la guerre. Dans la liste des ennemis : vous. Ce qui, certes, n’est pas une nouveauté. Il n’y a pas qu’en temps de pandémie que vous devez lutter pied à pied.

« Punaise, déjà neuf heures ! Bouge-toi ! » « Oh… Encore un petit café ? Une clope ? Pour me protéger du Covid… » « Arrête tes conneries ! Il va pas se remplir tout seul, le frigo. » « Oui, mais… Un peu de chocolat ? Pour le moral ? Et je crois que j’ai une lessive à étendre… » On dirait un mauvais dialogue de Choupinette et Choupinette. Vous filez un sale coton, vous qui n’avez jamais été portée sur le tricot. Vos tentatives de pull se sont toujours résumées à un immense dos. Sans manches, ni col, ni devant. Un concept. Proche de l’écharpe géante.

Néanmoins, de tergiversation en tergiversation, vous finissez par atteindre le front automobile, armée de votre attestation et de votre gel. Sans oublier la patience. Il vous en faudra. Et du courage. Pour tendre votre laisser-passer de courses au gendarme patibulaire qui exige de savoir pourquoi vous voulez traverser la ville avec votre véhicule. Vous découvrez que l’uniforme vous fait trembler et vous gardez les réponses qui n’auraient pas manqué de dérider l’agent pour vous. Vous ne lui dites pas que vous fomentez un attentat au postillon, vous ne lancez pas « oh, comme ça, j’avais envie de prendre l’air : ça m’arrive souvent au cinquième mojito », ni « il fait tellement beau, ce serait ballot de pas en profiter… Vous avez des menottes ? ». Non, vous jurez que vous partez en quête de PQ, comme il vient de le lire. Et vous ne lui demanderez pas quel est l’intérêt de vous faire dire ce qui est écrit : éviter les malentendus ? Asseoir son pouvoir ? Passer pour un analphabète ? Le mystère restera entier, par contre il est certain que ce contrôle ne vous a pas du tout rassérénée.

Garder des mètres de distance, ce n’est pas rassurant non plus. On peut toujours parler de « sécurité », il n’empêche que l’autre devient suspect : en plus, l’asymptomatique sournois peut se cacher sous n’importe quel minois. Tandis que vous patientez dans la file de caddies, vous notez des échanges de regards inquiets et envieux : frotter frénétiquement son caddie de gel hydro alcoolique, c’est inévitablement susciter des jalousies. Un peu comme brandir le dernier bloc de foie gras un 23 décembre, mais sans le sapin, les guirlandes et la perspective de s’étriper à coups de dinde en parlant politique : on avait pourtant juré, cette année, qu’on n’aborderait que le sujet de la météo… N’empêche, rêver de gel, c’est pas bon signe.

Être autorisé à entrer au compte goutte, ce n’est pas rassurant non plus. Vous avez l’impression d’avoir à nouveau dix-sept ans et d’attendre le jugement du physionomiste. Heureusement vous avez des arguments, même si votre tenue est bien plus « républicaine » qu’en vos vertes années : vous êtes seule et de sexe féminin. Deux bonnes raisons pour pouvoir rentrer. Un peu comme à l’époque. D’ailleurs, le monsieur devant vous, avec ses deux enfants, il ne rentre pas. Une personne, on a dit. Il est veuf ? C’est pas une raison, chacun ses problèmes : la règle, c’est la règle. Les marmots, il les laisse à la maison, et tant pis si leur passe-temps préféré est de jouer à Goldorak fulguropoing dans la baie vitrée. Sévère, le physionomiste… Face à un cataclysme, l’Homme ne peut-il choisir de révéler ce qu’il y a de meilleur en lui ?

C’est votre tour. Oublions ces sornettes.

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