Le mercredi (3/3)
Cours
de danse. Vous êtes à l’heure. À l’heure de Bucarest moins quarante minutes.
Fort heureusement la prof est aussi calée sur Bucarest. Bénie soit-elle. Vous
courez récupérer Choupinet. Aucune mare de sang dans le gymnase, pas l’ombre
d’un borgne, pas même une petite épaule transpercée : vos prières ont été
entendues. Vous pouvez sereinement passer par la pharmacie.
Punaise…
Le 5e âge vous poursuit. À croire qu’ils viennent par bus entiers et
que vous fréquentez des lieux hautement touristiques. « Alors, sur votre
droite, vous pouvez observer un magnifique rayon tout en paracétamol et
aspirines : tout le nécessaire pour que la grippe ne vous terrasse pas
avant deux ans. Sur votre gauche, admirez ce large éventail de crèmes de jour
miraculeuses pour vous rire de vos rides. » De l’arnica. Tout bête. Vous
n’avez besoin que de deux tubes. Un par enfant. Vous ne pouvez risquer la
pénurie : ils choisiraient immanquablement cette opportunité pour lancer
leur tête contre un mur, le sol, un frère, une sœur… Alors, patience, attendez
l’épilogue de la visite.
Vingt
minutes. C’est le temps qu’il vous reste avant la fin de la danse. Vous osez un
tour à la fruitière. Une choufleuriflette ce soir, ça apaisera votre monde. Une
choufleuriflette ? Oh, c’est très simple. C’est une tartiflette sans
patate : une légère entorse au monument culinaire montagnard. En même
temps, pas de tarte dans la tartiflette, pas plus que de fruit à la fruitière…
Punaise…
À peine croyable… Le bus de retraités vous a devancée. Vous êtes maudite.
Songez sérieusement à un exorcisme du mercredi… L’octogénaire jovial qui vous
précède est fin gourmet. Il hésite, demande à humer, à goûter. Tome crayeuse,
tome des Bauges, comté, morbier, beaufort… Punaise… Choupinette doit être en
train de porter plainte au commissariat pour abandon. Finalement l’aïeul
choisit un seul camembert tristounet. Tout ça pour ça. Le retraité ose tout,
c’est même à ça qu’on le reconnaît. Il paie en chèque. Son stylo ne marche pas.
Punaise ! Tandis que vous vous promettez de ne jamais vieillir, il finit
par trouver de la monnaie, et, car il a du temps, le cacochyme fait l’appoint
au centime près…
Choupinette,
bondissante et tourbillonnante, vous retrouve dans le vestiaire où vous
l’attendez depuis cinq bonnes minutes. Quand donc apprendrez-vous ? Vos
retards n’arrivent jamais à la cheville de ceux d’autrui. Alors, quand donc
vous détendrez-vous ? Jamais. Soyez lucide. Jamais. Il doit vous manquer
un gène fondamental pour déguster la vie le sourire aux lèvres, l’orteil
détendu, le cheveu ondoyant dans une douce brise parfumée. Non. Vous, c’est
jambes courantes, cheveux hirsutes et ulcère à l’estomac garanti.
Vous
vous arrêtez maintenant à la bibliothèque, épuisée mais contente : vous
touchez au but. Vous trainez donc avec bonheur votre quintal de livres à rendre
jusqu’à la bibliothécaire, tout en sommant Choupinet et Choupinette de faire
leur choix rapidement, très rapidement. Oui mais… Mais Choupinet a déjà tout lu
et reste sourd à votre éloge de la relecture. Mais Choupinette hésite :
romans policiers, encyclopédie de la danse… Tout la tente… Deux fuseaux
horaires plus tard, vous finissez par ressortir avec un quintal tout frais
d’ouvrages. Vous pouvez rentrer préparer les bains et le repas.
Vous
avez oublié d’acheter un chou-fleur, songez-vous, le sachet d’arnica entre les
dents, le violon dans la main gauche, votre quintal romanesque dans la main
droite, le sac à dos avec l’équipement de danse sur l’épaule gauche, l’autre
avec l’équipement pour l’escrime sur l’épaule droite, les courses dans le
coffre. Et où est votre clef ?
Vous
êtes en pleine coquillettiflette, quand, triomphant, tel Cro-Magnon tirant dans
son sillage un mammouth dûment chassé, Nounours jette sa sacoche, s’offre une
bière bien méritée et vous lance : « Alors ? Tu as passé une
bonne journée ? ». Vous lui jetez votre regard. Celui qui dit avec
éloquence qu’il vaut mieux vous taire que de répondre à cette ineptie. A-t-il
oublié qu’on est mercredi ?
Et
une lessive vous attend.
Mais
ceci est un autre chapitre.
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