Internet (1/3)


En sixième, vous avez eu l’appendicite.
Tout commença par une chandelle. Certes le sport ne vous a jamais aimée ; la roue était, est et sera définitivement un exercice obscur, une torture qui aurait pu réduire à néant le précepte selon lequel le ridicule ne vous tue pas. Lucide, vous saviez parfaitement que votre version de la roue avait tout du saut de crapaud neurasthénique. Mais jusque-là vous maîtrisiez avec soulagement et fierté la bête chandelle. Jusque-là. Ne parvenir que péniblement à hausser vos jambes à moins de trente centimètres du sol aurait dû vous alerter…
Avec votre sens de l’à-propos habituel, on était en pleine période de gastro. Le rapport ?, me direz-vous. Le ventre. Les deux font mal au ventre : l’appendicite et la gastro. Le médecin a donc attendu une dizaine d’heures avant de daigner palper vos douloureux organes. Vexé du peu d’intérêt qu’on lui accordait, votre appendice s’était infecté en une joyeuse péritonite qui vous valut un long rétablissement, une chouette cicatrice que d’aucuns auraient voulu admirer à votre retour. Et un walkman.
Un quoi ? Un walkman. Oui, vous n’êtes pas née avec ce siècle. On ne va pas en faire un reblochon : vous êtes tout de même apparue après la bombe H. Ce walkman, vous en rêviez. Et vos parents, soucieux de votre audition, craignant également que vous ne vous métamorphosiez en ado mutique et méprisante (la pré-adolescence n’avait pas encore été inventée), vous le refusaient. Crever de trouille de perdre son marmot sur le billard, rien de tel pour ruiner les principes éducatifs. C’est comme le divorce : plutôt acheter l’affection de son enfant à temps partiel plutôt que courir le risque d’être le moins aimé. Bref, c’est ainsi que l’appendicite eut raison de leurs réticences : vous étiez réconciliée avec la gymnastique, et branchée. « Être branché », encore un indice de votre obsolescence…
 Il n’empêche que vous vous régaliez de cette prouesse technologique, qui reléguait clairement aux caves les plus poussiéreuses ses ancêtres, le transistor et le 33 tours : la cassette. Terriblement moderne, vous passiez vos récrés de collégienne à écouter en boucle Balavoine et Renaud.
La modernité est une éphémère. Le temps d’un battement d’aile de papillon et poufff ! C’était au tour du CD d’être moderne, au tour du DVD, de l’iPod… Vous avez vite eu le tournis. Le temps de ces battements d’ailes, vous aviez quitté la larve de l’ado branchée pour endosser la défroque de la mère larguée…

Éphémère, la modernité est également sacrément perverse. Elle se pare de ses plus beaux atours pour éblouir. On la croit rapide, dévouée, mue par un seul souhait : alléger le fardeau du quotidien. Que nenni. C’est un monstre tentaculaire qui se nourrit de vos pensées et de vos clics.
Impossible de lui échapper : vous n’êtes plus branchée, vous êtes connectée. Partout. Tout le temps. Et consentante.

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