Passeport (partie 4 et fin)

 


Néanmoins, mère qui clique amasse des rendez-vous… Le 25 mai à D. à 14h30 et 1h30 de route. Le 27 avril à E. à 15h20 et 30 minutes de route. Le 28 avril à F. à 9h30 et 45 minutes de route. Vous ne pouvez plus vous arrêter : quelques secondes suffisent pour que vous passiez de « recherche infructueuse » à une proposition : la France doit regorger de cliqueurs qui jouent au même jeu que vous et peuvent annuler, donc libérer, à tout moment un créneau. Car, le 26 avril, sans nouvelles de la tête de Choupinet, qui se terre par ailleurs dans sa chambre, effrayé par votre nouvelle obsession, vous annulez le rendez-vous du 27. Et le 27, celui du 28. Trente minutes plus tard, la mairie vous appelle : sans surprise, loin de toute considération esthétique, sans aucun égard pour la décence, la Préfecture a refusé la photo.

Vous reprenez donc votre frénésie de clics, plus absorbée par votre portable qu’une adolescente au réveil. Ou sortant de cours, ou dans le bus. Au choix. Il faut croire que l’obsession paye : vous dégottez miraculeusement un rendez-vous le 29 à G., à trente minutes de chez vous, et mieux, à un quart d’heure du lycée : Choupinet aura juste le temps de sortir de cours. Un bonheur absolu. En tout cas pour vous.

 

Il faut donc refaire un portait adéquat. Un bonheur ne se baladant jamais seul, un photomaton trône dans le hall du supermarché. Maligne, vous allez multiplier les joies comme d’autres les petits pains : Choupinet fera sa photo pendant que vous ferez les courses. Vous voilà donc, sereine, pesant vos courgettes, un air de Trenet flottant dans l’air. Choupinet vous rejoint, traînant des pieds avec application. Il vous tend la photo nouvelle.

Cet enfant veut vous pousser au crime. La même. C’est la même. Il a réussi des photos monozygotes à plusieurs semaines d’intervalle. Un exploit. La décence n’est pas de mise quand vous trouvez les mots pour hurler votre admiration. Votre fougue fait se retourner les têtes et rougir les courgettes, mais cette fois, vous avez été claire. Choupinet vous a entendue. Tout le supermarché également. Vous obtenez, enfin, un visage vierge de toute mèche.

Trenet peut donc repointer son nez quand arrive le rendez-vous tant attendu. Si on vous avait dit qu’un jour vous vous rendriez à la mairie avec plus de bonheur qu’une fan de Mylène à son dernier concert… Choupinet vous attend devant le lycée. Bien. Vous vous enquerrez, sottement, de sa prochainement obsolète carte d’identité. Qui se trouve avec son kit de survie quotidien, carte de bus, de cantine et monnaie pour les cappuccinos. Qui se trouve chez vous. À trente minutes de route. Le lycée est à quinze minutes de la mairie. Dans l’autre direction. Votre sens des mathématiques a toujours été moins développé que celui de votre à-propos, néanmoins vous résolvez le problème avec une aisance déconcertante. Vous allez être en retard. Pire, la mairie sera fermée et Choupinet …

 

Choupinet mesure pleinement combien il a malmené votre fibre maternelle. Il faut avouer que votre conduite est explicite. Vous roulez à tombeau ouvert. Une expression qui a le mérite d’être limpide. Vous allez passer des années de vacances à l’ombre au lieu d’une quinzaine au soleil. C’est idiot. Stupide.

Choupinet ne veut clairement pas partir en vacances. Pas avec vous en tout cas. Et, après tout, il ne fait que vous préparer à une dure réalité. Il va partir. Bien plus qu’une quinzaine de jours. Le syndrome du nid vide est au bout de l’été. Vous ne le verrez plus. Vous ne lui parlerez plus. Son alibi : des études.

Quoi ? Comment est-ce possible ? Les ados sont scotchés à leur téléphone ! S’indignent vos frères et sœurs d’infortune : les parents. Oui, c’est comme ça, l’enfant n’est pas à un paradoxe près pour torturer ceux à qui il doit rien moins que la vie. Punaise… Croquette vous montre plus de gratitude. Et, en plus, elle a arrêté de confondre la plante du salon avec sa litière. À coups de chaussons, certes… Elle ronronne quand vous lui ouvrez la porte et elle vous offre  plein de cadeaux, même quand ce n’est pas votre anniversaire… Souris vivantes, mulots, moult boyaux. Alors que celui qui a vu le jour en ravageant les vôtres, de boyaux, il ne se fendra pas d’un pauvre sms hebdomadaire. Essayer de lui tapoter tendrement la chevelure ? Il vous en coûterait votre main. Pour le moins.

Alors que vous êtes à ça (imaginez l’épaisseur d’un cheveu) de demander un passeport pour Croquette, vous arrivez à la marie de G. Où on vous informera qu’à G. nul besoin de reprendre un rendez-vous en cas de photo indécente. Heureux habitants de G. Leurs employés municipaux, souriants et compétents, feront passer votre dossier en priorité.

 

Voilà, c’est fini. Vous n’irez pas à l’ombre, ni pour conduite folle ni pour infanticide. Il fera chaud. Très chaud. La Grèce brûlera. Choupinet restera dans une chambre, volets clos, sur son téléphone. Et aucun de ses messages ne seront pour vous.

 

Mais ceci est un autre chapitre.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Jamais déçue (partie 1)#Santos americandream

Jamais décue (partie 2) #Javier# libertarien#ausecours

L'essentiel clown #Guerriau#extraecsta