Passeport (partie 3)
Vous posez alors la question. Pour être sûre. Car vous avez réfléchi : le dossier est rempli, tout bien comme il faut, les données ont été magnifiquement enregistrées informatiquement. La logique voudrait donc, vous semble-t-il, que, pour une petite mèche flirtant avec un cil, on vous demande seulement de revenir avec une photo d’ado chauve, si, c’est plus sûr, et, hop, fin de l’Odyssée, repos de la mère. Au bord de la mer. Jeu de mots. Ah ah.
Vous avez bien fait de poser la question. Vous n’avez, apparemment, pas une logique administrative. Ce que vous regrettez. Amèrement. Et vous persistez à penser que l’administration gagnerait à adopter votre logique. Si. Vous diriez même plus. Des ministères y gagneraient. Si. Un exemple ? Avec plaisir. Selon votre logique, les élèves étant l’avenir de l’humanité… Bon, un peu grandiloquent. Mais, vous, ministre, vous seriez plus lyrique que, disons, un auteur de fugue, américaine ou non. Les enseignants étant des êtres humains, qui, par conséquent, peuvent tomber malades, avoir des enfants, avoir des enfants malades et tutti quanti, des êtres humains précieux, puisqu’ils dispensent un savoir, rare donc précieux… Si. Il faut insister. Si. Même lourdement. Parce qu’à voir leur feuille de salaires et le nouveau recrutement job-dating, c’est pas évident… Logiquement, il faut un nombre conséquent de ce qu’on appelle, pardon, appelait, « professeurs remplaçants ». Pour éviter que, trois mois avant le bac de philo, le Proviseur de Choupinet annonce que, de philo, cours, il n’aura que trois heures. Généreusement octroyées par le Rectorat. Les copies du bac blanc ? Corrigées ? Bah non, sans prof. Logique. Pas grave. C’est une épreuve tellement facile.
Vous enchaînez sur le sort des patients et des soignants ? Non ? Pas le temps… Car la réponse à votre question est aussi effrayante que la Gorgone. Pétrifiée, vous ne sifflez mot tandis que l’administré coupe net et sans vergogne vos timides espérances : si la tête de Choupinet n’est pas homologuée, il faut reprendre un rendez-vous…
Sans méditer sur le retournement moderne, qui place de monstrueux obstacles avant le beau voyage, bien consciente que Personne ne vous sauvera de cet écueil capillaire, vous affrontez l’ANTS. Mille ruses, vous ne cracheriez pas dessus, mais vous devez vous contentez d’un clic. Que vous répétez, plus de mille fois…
Vous rentrez votre commune, une date que vous supposez butoir pour obtenir le précieux sésame. Vous cliquez. « La recherche est infructueuse entre le mardi 11 avril et le mardi 6 juin, à 20 km de A, cependant toutes les mairies ne sont pas encore référencées dans le moteur de recherche. Nous vous invitons à contacter directement votre mairie ou bien à modifier vos dates de recherche et à renouveler votre demande. » Bon conseil. Essayons à 40 km. Recherche infructueuse. 60 km. Recherche infructueuse. Pas de limite kilométrique. Bingo ! La commune de B a un créneau ! À 200km. Hum, pas bingo. Qu’à cela ne tienne, vous rec-cliquez. Re-bingo ! Ce bol de dingue quand même… Commune de C. Le 10 octobre. Ouais. La commune est proche, certes, mais l’avion sera parti et revenu sans vous…
Vous cliquez, cliquez, cliquez, cliquez… Pendant que vous cuisinez, étendez la lessive, aspirez, tondez, repassez, discutez, regardez une série… Votre compagnie est devenue aussi agréable que celle de Cerbère. Non. Que celle de Léthé. Personnification de l’oubli et fille d’Éris, la discorde. Cela n’a pas échappé à Choupinette. Profitant de votre cerveau obnubilé et de votre main cliquante, elle vous demande un nouveau jean, du vernis rouge, l’autorisation d’aller à un match de rugby, traduisant vos « hum » distraits en assentiment sans ambages. L’ANTS éclipse le lien que vous n’auriez pas manqué de faire entre ces diverses requêtes si vous ne vous réveilliez pas passeport, bougiez passeport, dormiez passeport. Vous oscillez entre terreur et addiction pure.
« Erreur. Connexion au serveur impossible. Veuillez réessayez plus tard. » Si le serveur plante, c’est certainement votre faute… Si la police de l’ANTS existe, elle va sonner à votre porte, et vous ouvrirez en cliquant.
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