La conduite accompagnée (5/5)

 


Les trois heures ont bel et bien lieu. À votre grand étonnement. Vous étiez prête pour une annulation de dernière minute.

Mais Monique a de la bouteille et de la ressource : après ces trois mirifiques heures, elle est partie est vacances, puis son fils est parti en vacances. Choupinet a donc pu battre des records de réveil indus tout son soûl. Cela mérite explication : quand Monique est en croisière (une accro aux transports, routiers et maritimes, Monique, passionnée par son boulot à l’évidence), elle n’est pas là. Quand Monique fils est en vacances, sa mère assure ses heures de cours… Si. Et elle n’a plus de place pour Choupinet. Forcément.

Soit elle se fout de votre gueule. Soit elle est victime de la charge mentale, affective, ménagère, médicale et autre de toute mère. Vous êtes à une tronçonneuse et un étranglement (vous hésitez encore sur le modus operandi) de compatir.

Comment avez-vous appris pour la croisière ? Ah mais de la bouche même de Monique. Elle vous a appelée  et vous savez tout. Les escales. Le nombre de passagers. Les menus. La soirée ventriloque. Les complications covidiennes. Si vous aviez posé la moindre question, vous sauriez même combien de strings elle a emporté, Monique. Retrouver son portable, ça a dû la soulager autant qu’inciser un furoncle bien volumineux. Elle n’explique pas, elle ne parle pas, elle vous noie de mots. Une avalanche qui vous emporte loin de toute possibilité de protestation et vous rapproche de la rentrée.

À bout de déluges verbeux, Monique  vous annonce qu’elle doit raccrocher : elle est en cours, il s’agirait de ne pas se prendre une amende bien corsée, ça donnerait un goût amer aux futurs cocktails, en plus pendant ce temps elle n’est pas concentrée sur l’élève qui a du mal avec les priorités à droite, en plus elle ne donne pas le bon exemple, non, vraiment, c’est pas très sérieux, d’habitude elle appelle pas, elle envoie des messages, mais bon, c’est pas tellement mieux pour la concentration… Mais ta gueule ! Raccroche !

 

Luttant contre votre naturel doux et conciliant, naturel injustement méconnu de vos rejetons, vous arrachez une dizaine d’heures à Monique. Heure après heure. Chacune vous demande  des relances infinies. Monique Maîtresse du temps, et surtout du vôtre, a réussi à repartir en vacances, à oublier un rendez-vous, en annuler un autre. L’étranglement est certainement trop doux… La tronçonneuse ? Par petits à-coups ? Vous n’avez toujours pas tranché…

Choupinet a retrouvé le bus et le chemin du lycée. Trouver un moment où il n’est pas en train de bucher ses maths, de renâcler pour bucher ses maths, de remplir le puits sans fond qui lui sert d’estomac avec ses potes, de regarder sans fin des vidéos envoyées par ses potes devient aussi compliqué que de comprendre comment des individus censés lutter contre la fraude fiscale,  ou au moins la fustiger, se retrouvent dans les Pandora Papers.

Monique ? Elle appelle. À tout moment de la journée. Pour savoir si Choupinet ne serait pas libre. Dans l’heure qui suit. De cette même journée. Bah oui, c’est ça, il ne va plus en cours, alors qu’ils sont enfin en putain de présentiel, juste au cas où Madame Monique aurait une dispo ! Bordel ! Où est votre sécateur ?

 

L’automne est bien entamé quand vous atteignez ce graal : les deux heures d’entente préalable à la conduite accompagnée. Tout un programme. Deux heures coincés avec les genoux dans le menton, à l’arrière d’une minuscule voiture : Nounours a tout de l’espadon qu’on voudrait faire tenir dans une boîte de sardines. Heureusement, pour le distraire de cette situation, Monique a la langue bien pendue et le commentaire affolant.

Totalement bicéphale tendance schizo, une Monique s’adresse à Choupinet : « Passe la seconde, attention au piéton, tourne à droite, oublie pas la priorité, ralentis, attention au vélo, accélère... » Un flot continu : vous tenteriez de lui dire un dixième de ces consignes qu’il vous aurait déjà éjectée du véhicule de la force de son noir regard. Celui qu’apparemment, donc, il vous réserve et auquel Monique échappe étrangement. L’autre Monique vous commente tout, de la conduite de Choupinet à sa monstrueuse existence. « Il n’a pas du tout conscience de ce qui l’entoure. Piéton, vélo, il faut tout lui dire. Surtout que vous n’aurez pas les pédales. Mon fils, à son âge, impossible de lui parler. Ils ne supportent pas, surtout quand ça vient des parents. Ah ah ! Mais ils ne savent pas conduire. S’agit pas de sortir d’un restau bien arrosé et de lui laisser le volant. Moi je m’autorise un petit apéro, faut bien profiter, attention au piéton, clignotant… Au bout de vingt heures, faut pas croire, ils sont dangereux. Surtout quand on ne peut pas freiner à leur place ! Ah ah ! Je vous ai parlé de mon élève qui a fait un tonneau deux mois après son permis ? »

L’enfer, ça pourrait être ça : une entente préalable éternelle.

Pire : le conducteur pourrait être l’élève suivante. Elle vient pour son rendez-vous pédagogique. Au bout des mille premiers kilomètres. Et c’est une fieffée menteuse.  Pinocchio, elle lui a tout appris. En plus, son nez ne bouge même pas quand elle cale, oublie le stop et que Monique s’enquiert de son accompagnement. Pas besoin d’être Monique pour voir que si cette gamine a roulé dix kilomètres accompagnée par un  chien d’aveugle, on peut aussi bien avancer que Choupinet a brillamment emporté les derniers championnats de fée du logis. Tandis que vous tentez une prière à St Christophe, Choupinet, qui vous a rejoint à l’arrière, ricane tandis que l’andouille au volant s’engage dans un sens interdit qu’elle n’a pas vu… Monique pile et vous tentez de vous consoler : si Monique a réussi à atteindre un âge plus que respectable malgré sa profession, vous survivrez peut-être à votre sotte idée…

 

Mais ceci est un autre chapitre…

 

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