U. S.: On the road (partie 2)
Vous n’avez pas pris de photo. Ça faisait trop « oh,
putain ! Les cons ! T’as vu où ils vivent ! Oh putain ! ».
Le peur de croiser un amboysien, un vrai, vous a également retenue… Mais vous
n’en avez vu aucun. Pas même un, sur le porche de sa maison, se balançant au
rythme de la fournaise ambiante dans son rocking chair, graissant son colt, son
Stetson enfoncé jusqu’au nez, la Santiag rutilante… À croire que l’amboysien se
terre, ou qu’il a mieux à faire que confirmer vos fantasmes américains.
N’empêche. Sans rire, à quoi passent-ils leurs temps, les
amboysiens ? À part fabriquer de la méth ? Franchement, c’est le bled
idéal pour dealer. C’est même une nécessité pour oublier et pour avoir une vie
professionnelle. Parce qu’à Amboy, pas de commerces, pas d’usines, pas même une
gare pour se barrer. Un truc à consommer sa production, ça : pour survivre
à Amboy, faut être auto-suffisant. De toute façon, personne (seul hic pour
fourguer sa came, certes…) ne viendra chercher ici un dealer, ou qui que ce
soit d’autre : il n’y a rien. Et, par prudence, on peut toujours planquer
son crystal derrière le douzième
buisson, à gauche. Mais, attention à être plus prudent qu’un écureuil avec son
stock de noisettes, ça risque d’être coton à retrouver. Ils ont fâcheusement
tendance à se ressembler, les buissons, dans le désert.
À bien y réfléchir, Amboy est une ville incroyable. C’est
même la solution à la surpopulation dans les prisons. Tout simplement. Parce
que les U.S., c’est le seul pays, où, quand la Californie est ravagée par de
terribles incendies, vous pouvez être réveillée par ce propos incongru à la
radio : trois courageux pompiers et vingt prisonniers ont sauvé une
famille de viticulteurs.
En France, le prisonnier, il est bêtement récidiviste. Au
mieux, il se fait oublier et tente une réinsertion. Éventuellement héroïque, il
planche sur une évasion rocambolesque avec amoureuse transie à la sortie. Mais,
jamais, non, jamais, il ne se transforme en pompier prêt à sauver autrui au
péril de sa propre existence. Non. En même temps, pas sûr que le prisonnier pompier
américain soit très très volontaire… « Tu m’éteins cet incendie ou tu
déjeunes avec ton président ! Grouille ! » : moins de
séquelles à risquer en jouant avec le feu, le choix n’est pas difficile…
Le hic ? On n’a pas toujours un incendie dévastateur
sous le coude pour gérer le surplus de détenus.
À Amboy, il suffit de supprimer toutes les bagnoles du bled
(pas de quoi remplir une casse…) et de déposer les tolards en car :
messieurs, vous êtes libres ! Amusez-vous ! Et basta… Nul besoin de
barbelés ou de matons hésitant entre dépression et sadisme. Tous ceux qui
tenteront de s’éloigner de l’unique fontaine du village finiront en steak pour
vautour ou en attraction pour les fourmis rouge. Et d’une pierre deux
coups : les plus sensés pourront toujours jouer aux osselets…
Sortant de l’inoubliable Amboy, soit deux minutes après y
être entrée, vous réalisez que la road 66 est surélevée tous les deux
kilomètres. Légèrement. Bizarre. Ça ne relève pas clairement du dos d’âne, mais
c’est trop fréquent et marqué pour être accidentel. Mais qu’est-ce donc ?
Un tunnel. Bah oui. Pas pour les détenus susnommés. Ou des détenus juvéniles
anorexiques. Sinon on reste coincé… En même temps, soyons réalistes, la
jeunesse, le crime et l’anorexie, c’est tout de même beaucoup pour un seul
individu. Invraisemblable.
Non, ce sont de petits tunnels qui permettent à la faune du
désert de traverser sans encombre. Super sympa. Surtout que, depuis quatre
heures que vous empruntez la road 66,
vous n’avez croisé qu’une seule autre voiture. Et aucune bestiole. Pas la
moindre.
C’est l’Amérique. On tue la planète à grands coups de clim
et de bagnoles grandes comme des minibus réservés à l’usage d’une seule
personne, deux au mieux. Et en même temps on creuse des milliards de tunnels
pour sauver les lézards, les mygales, les scorpions et les crotales.
Même leurs paradoxes sont cools.
L’américain est humain, trop humain. Et la traversée du
désert lui donne soif. Sauf que ce qui le désaltère vraiment, c’est un bon
godet d’argent. Bienvenue à Casino City.
Mais ceci est un autre chapitre.
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