Vie de mère (partie 2)
Un passe-temps ? Pas plus. Pour passer le temps, on regarde « Breaking bad », au pire on comate un après-midi devant M6. Un seul après-midi. Sous risque de perte de neurones irrémédiable. Pour passer le temps, on prend des cours de russe ou de macramé. On se met à l’aqua biking. Ou au golf. Personne ne passe la serpillière pour passer le temps. Personne. Personne ne passe l’aspirateur pour passer le temps. Personne. Sans cela on ne se serait pas emmerdé à inventer les robots aspirateurs et les chèques emploi service.
Un sujet de conversation ? Encore moins. Vous ne suivez pas. On l’a déjà dit.
C’est bien simple, la « mère au foyer » n’est rien.
Voilà pourquoi on ne lui demande rien : elle n’a rien fait donc rien à dire. Et de quoi pourrait-elle bien parler ? De ses carreaux immaculés à en faire pâlir Marie, La Marie? Eau citronnée, liquide bleuté bien chimique, simple eau chaude ? C’est sûr, comparer leur efficacité va passionner l’assemblée. Enchaîner sur l’activité harassante du renouvellement hebdomadaire des draps de la maisonnée ? Comment ne pas se sentir concerné par le déroutant problème de l’enfilage de couette dans sa housse ? Censées être complémentaires comme gant droit et main droite, elles ne sont jamais en parfaite adéquation… Terriblement troublant ! Presque autant que la relation entre les chaussettes et la machine à laver. Qui résoudra ce mystère de disparition de chaussettes… Toujours celles de Mr. Quoi d’autre ? Aborder le sujet brûlant de la durée de vie de l’électroménager ? Ah, le bon vieux temps où un frigo durait toute une vie ! Du sabotage, de vastes complots politico-commerciaux, voilà ce que ça cache… Mieux : la découverte de la purée de légumes par le petit dernier. Inénarrable ! Son jeté de petit pot qui a constellé jusqu’au plafond ! On ne se lasse pas de ce récit ô combien cocasse ! Condamnée à ne parler qu’à d’autres sans existence. C’est tout.
Sans oublier qu’elle n’a rien fait donc rien ressenti. Elle n’a pas d’angoisses existentielles à partager, elle n’a pas d’existence, faut être logique. Elle ne risque pas de se torturer en de longues et cruelles insomnies car son collègue et ami de toujours a omis de l’inviter au restau hebdo du vendredi : elle n’a pas de collègues. Elle ne souffre pas de multiples maux liés au stress, apanage des seuls actifs. Que sait-elle du stress, vautrée dans son moelleux canapé à feuilleter des magazines en sirotant des tasses de thé ? Rien. Elle n’en sait rien. À qui fera-t-elle croire qu’enchaîner lessive à faire tourner – courses - lessive à étendre – poussière – repas – aspirateur - devoirs - cours de judo – pharmacie - cours de clarinette - banque - cours de dessin – lave-vaisselle à vider – bain – repas – brossage des dents - repassage est stressant ? À qui fera-t-elle croire qu’elle reste de longues minutes éveillée au beau milieu de la douce nuit obsédée par l’idée d’oublier l’une de ces tâches cruciales ?
Sans présent et sans avenir. Sans imagination. Pauvre être qui ne se projette pas plus loin que le bout de son nez. Quand Junior et cie n’auront plus de cours de judo, clarinette, dessin. Quand ils l’auront abandonnée à son néant, sans même le regard en arrière inquiet d’un Orphée. Quand Mr aura cédé aux sirènes d’une blonde pulpeuse, jeune diplômée carriériste fascinante. Quand son rien sera plein de vide, sa peau pleine de rides.
Sans espoir, il lui faudra choisir entre euthanasie précoce et reconversion. Allez donc vendre quinze années de rien sur un C.V. Allez donc passer votre premier entretien d’embauche la quarantaine bien tassée… Au moins aura-telle de quoi pimenter sa conversation…
Mais ceci est un autre chapitre.
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