Vendredi 13? Même pas... (partie 2)


Ah si. Une voiture. En sens inverse. Sur votre droite. Non que vous ayez traversé la Manche. Vous avez au mieux parcouru trois cent mètres. Mais gauche et droite sont des notions très floues un « jour blanc ». Le malheureux véhicule est immobilisé, ou presque, il glissouille de ci, de là… Il est vrai que ce qui est pente à 70% pour vous est côte pour lui… Pas besoin d’être Nostradamus pour prédire qu’il n’y arrivera pas : glisser vers le bas est périlleux, glisser vers le haut… Vous pourriez vous arrêter, proposer votre aide… L’idée traverse votre cervelle gelée… Mais la matinée n’est visiblement pas propice aux bonnes idées, et comme vous n’avez pas été piqué dernièrement par une araignée mutante qui vous aurait donné une force herculéenne, vous ne pouvez que fort peu pour votre semblable et vous contentez de croiser les doigts pour ne pas le percuter en le dépassant.
10h05 Pas de Martine joue aux auto-tamponneuses non plus… Vous vous sentiriez vernie… Si vos yeux plissés servaient à autre chose qu’à accentuer votre ressemblance avec Kim Jong-un, selon les dires fantasques de Choupinet, comparaison farfelue que vous approfondirez si vous survivez à cette immensité immaculée. Un virage à gauche. Un virage à droite. Un cédez-le-passage. Non, vous ne les voyez pas. Vous savez qu’ils sont là car hier encore quand le bitume roulait tranquillement sa vie de bitume, ils étaient là. Virage à gauche, cinq cent mètres, puis à droite…
10h 40 Vous appelez la voisine et lui donnez ce conseil que vous auriez dû suivre : reste chez toi ! C’est un jour à accoucher de deux esquimaux gravement prématurés ! Laisse Léa et Charlotte revenir à pied de l’école, elles se perdront dans cette abominable neige, à toi la liberté ! Va les chercher en luge si vraiment tu y tiens, mais ne touche pas à ta voiture !!!
Vous raccrochez avant de glisser dans une boîte aux lettres dont le pied est enfoui dans la neige.
11h. Vous êtes au bout de la pente, du rouleau et de l’espoir. Il faut monter maintenant. Et redescendre. Promis, demain vous déménagez en Belgique. 
Lentement mais sûrement, vous avancez. 100 mètres. 150, 200 mètres. 500, 600. 650. 650. 650. Merde, merde, merdeeeeee ! Ça patine !!!!
11h 10 Droite, gauche, gauche, droite, vous oscillez plus sûrement qu’un politicien en mal de carrière, mais vous n’avez plus d’illusion : vous n’avancez plus… Vous êtes coincée et ce au beau milieu de la route… Plus personne ne passe ! Ni déneigeuse, ni voiture…. Deux malheureux finissent par suivre la voie que vous avez maladroitement dessinée. Que font-ils dans cette galère ? Un repérage avant un déménagement… Il est toujours agréable de croiser plus vernis que soi. La crémaillère étant remisée au printemps, les deux égarés ont la gentillesse de vous pousser, et vous avez la sagesse de vous garer au plus vite. Dans un virage, certes, mais vous avez évité de plier votre carrosse, vous êtes soulagée. Mais soucieuse : laisser les warning pour signaler que vous ne vous êtes pas posée dans ce champ par pure excentricité, c’est plus prudent…
11h20 Vous triez : tout ce qui n’est pas périssable reste dans le coffre. Pourquoi ne pas tout abandonner ? Surtout que l’atmosphère terrestre est proche d’un frigo géant. Mystère. Il y a belle lurette que vous avez cessé d’essayer de vous comprendre : trop d’efforts, trop de maux de tête et peu de résultats. C’est comme Croquette : pourquoi ce chat pique–t-il soudainement des sprints avant de s’auto-catapulter sur la baie vitrée du salon ? Alors que miauler en boucle devant la porte serait plus efficace s’il poursuivait le seul but de sortir… Mystère.  Et voilà. En ce jour blanc vous concluez que vous n’êtes pas plus raisonnable ou cohérente qu’un fan de pâtée au thon. Terrible. Encore une journée que vous n’allez pas regretter d’avoir vécu.



11h30 Vous avez avancé de dix mètres. Un sac de 15 kilos dans chaque main, ça n’aide pas. Vous n’avez pas à atteindre l’Everest, mais tout de même… Le manque d’équipement adapté et de bon sens, ça n’aide pas. À défaut de muscles, vous avez de l’obstination. Une pause tous les trente mètres mais, petit à petit, l’ourse rejoint sa tanière… Et à chaque pause, un hurlement et deux jurons, en levant la tête vers ce ciel qui n’en finit pas de cracher  ses petits morceaux glacés. Vivement l’été.
Martine porte ses courses pendant trois kilomètres, c’est carrément plus répétitif que Martine fait ses courses… Même si le paysage est canon. À neige.
Ah c’est comme ça, la blague d’hiver… Glaçant de médiocrité.
De pauses en suées harassantes, les bras étirés jusqu’aux genoux, vous atteignez enfin une départementale où vous croisez un chasse-neige qui vous nargue de toutes ses lames et un voisin qui prend pitié et écourte votre calvaire.
12h30 Chez vous. Vous êtes chez vous. Il fait chaud, il fait bon. Croquette perd ses poils sur votre fauteuil préféré et rêve qu’il tombe de la neige. Jamais vous n’avez été aussi heureuse de déposer vos sacs débordant de superflu dans votre garage. Où l’Absente remue le couteau dans la plaie vive de votre bêtise.
La retrouverez-vous indemne ? Un imbécile revenant d’un rendez-vous aussi essentiel que coiffeur, podologue ou fleuriste ne la percutera-t-il pas de toute la vanité de ses humaines occupations ?

14h Le goudron brille de tous ses feux. Si. Il y a du soleil et du sel, toute la neige qui n’est pas dans les champs a fondu. C’était quoi, déjà, la morale ? « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ». Gnagnagna. La leçon de cette pauvre histoire ? Les jumelles adorent les pâtes et les courses peuvent attendre. Gnagnagna.
16h La voisine vous dépose avec votre pelle et vos appréhensions dans le maudit virage. Vous déblayez consciencieusement autour des roues et tournez la clef. Vous tournez la clef. Là. À l’endroit prévu pour la clef. Rien. Encore. Rien.
Si. Ah si… Un voyant. Vous ne le connaissez pas celui-là. Qu’est-ce qu’il peut bien vouloir dire ? Vous farfouillez fébrilement dans la boîte à gants qui ne contient aucun gant mais un joyeux fatras et le manuel d’utilisation. Tiens. Ce voyant-là, il dit : « la prochaine fois reste chez toi ». Qui peut se traduire par « anomalie, contactez votre garagiste ».
Avec le sens de l’aventure qui vous caractérise le vendredi, car le reste de la semaine vous êtes plutôt une femme pondérée et sensée, en tout cas les semaines paires, vous préférez appeler un ami et un tracteur.
Pour vous sortir de ce bourbier et recharger votre batterie. Après moult tentatives et angoisses, ce vendredi s’achève contre toute attente sur ce qui ressemble à du bonheur et un conseil : roulez quelques kilomètres pour éviter une récidive. Parfait. Vous foncez vers le buraliste le plus lointain. Quand le vendredi vous sourit, il faut tenter sa chance. Au grattage, au tirage, vous allez gagner. Sûr.
Quand vous serez millionnaire, vous aurez un chauffeur. Il fera les courses aussi. Et le ménage. Et les devoirs.

Mais ceci est un autre chapitre.



Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Jamais déçue (partie 1)#Santos americandream

Jamais décue (partie 2) #Javier# libertarien#ausecours

L'essentiel clown #Guerriau#extraecsta