Le correspondant (partie 4)

 


Lundi pointe son nez avec son lot de consolations : l’ado va prendre le large pendant quelques heures de répit. Celui qui a décrit le blues du dimanche soir avait deux jours de retard et pas d’enfants.

Vous vous attelez à la confection du pique-nique de François qui s’est levé à temps pour arrêter votre main qui allait follement plonger dans le beurrier. Pas de salade, pas de tranche de tomate, pas de cornichon : ça, c’est cohérent, l’allergie aux légumes, vous en saisissez toute l’ampleur. Mais pas de beurre ? De la mayonnaise alors ? Non… Vous assurez François qu’aucune courgette ne se dissimule sournoisement dans la recette. En vain. Peut-être que sa logique va jusqu’à frémir du régime herbacé de ce sot mammifère producteur de lait ? Pas contrariante, vous lui tendez un savant assemblage de pain et de jambon. Il est ravi. Des chips et du saucisson pour équilibrer le tout. Et une pomme. Parce que. On ne sait jamais. Sur un malentendu.

Même Choupinet est atterré. Lui, l’explorateur du goût, l’inventeur du monstrueux bananaham, composé d’une banane entouré de jambon comme son nom l’indique, est indigné par l’aridité du régime alimentaire francesque. Vous ne savez pas encore que cette semaine placée sous le sceau du bannissement de toute plante potagère sera une bénédiction pour les jours, les mois, les années à venir : vous serez acclamée pour votre gratin d’aubergine, Choupinette suppliera pour que vous fassiez votre quiche courgettes-tomates, Nounours réclamera un dîner salade. Oui, Nounours, cet adorateur de la côte de bœuf.

Par contre votre tentative de conversion sera un échec cuisant : la pomme suivra François de visites en visites, jour après jour, déjeuner après déjeuner sans jamais être croquée. Pauvre pomme.

 

Les ados expulsés vers d’autres occupations, touristiques pour le chanceux, laborieuses pour vos deux infortunés, vous vous attaquez à vos propres corvées : laver ce linge qu’aucune personne dont vous partagez des liens maritaux ou sanguins n’a porté et rendre visage propre à la salle d’eau. Un SMS de la maman de François vous arrête : ¿él tomó su chaqueta ? Quoi ? Chaqueta ?

Vous mobilisez toute votre mémoire, priant pour que l’exercice qui consiste à réviser tout le vocabulaire depuis le début de l’année (vous l’avez déjà mentionné ? Oui. Bah… Reprocherait-on à Tityos de raconter plus d’une fois comment il se fait bouffer le foie par deux bestioles sympathiques, serpents, aigles ou vautours, il ne sait plus trop, ça chamboule, le foie cycliquement dévoré ?), supplice qui aurait été infligé à Tantale, Prométhée (certainement un pote de Tityos) et Sisyphe si Zeus avait été professeur d’espagnol, ne soit point une vaine torture. Comment ? Le torturé n’est pas vous mais Choupinet ? Certainement. Le jour où les poules seront championnes toutes catégories animales confondues de dos crawlé et les enfants autonomes pour réviser leurs leçons. Car, par un processus aussi mystérieux que le Mary Celeste ou la zone 51, un enfant passant deux heures, seul, dans sa chambre, à réviser, en ressort aussi vierge qu’une feuille de papier pour imprimante qui aurait échappé, malgré sa fonction, à toute impression, même minuscule. Et cela même sans l’aide de monstres technologiques friands d’attention et de neurones : ceux-là, vous les condamnez prudemment au salon. N’empêche.  Réciter et faire réciter vont de pair comme Laurel et Hardy, Beyonce et Jay-z, Dali et Gala. Et, par les vertus de la répétition, ce que Choupinet apprend, vous le retenez. Un temps. Votre mémoire ayant des affinités avec la passoire qui devraient intéresser les neurologues.

Chaqueta ? Chaqueta ? Bufanda, c’est l’écharpe, platanos les bananes, amarillo jaune… Su, c’est un possessif, sûr. Tomó, le verbe tomar, qui veut dire…. Zut de zut. Chaqueta… Casquette ? Non… Ah, vous l’avez ! Veste ! Génial ! Merde. Sa veste. Pas génial du tout.

En même temps, vous devez vérifier que Choupinette a son sac de sport, Choupinet sa trousse, Nounours son portefeuille, Croquette pas vomi subrepticement ce qui lui vaut son nom dans un coin obscur de la maison pour fêter ce nouveau jour qui s’annonce. Alors, non, non, vous n’avez pas vérifié que François prenait sa veste : on a perdu 15 degrés en 24 heures, la bise souffle aussi fort que le loup sur la maison de briques d’un appétissant cochon. Même Choupinet, bien connu des cours de récréation hivernales pour sa capacité à vivre en t-shirt, a pris sa veste.  Mais pas François. Qui aurait dû également emporter une bufanda. Punaise, ça marche vraiment, la technique de la répétition lexicale, génial. Non. Pas génial. D’abord on s’en fout de savoir dire platanos et amarillo. Et, en plus, la future grippe de François, c’est votre faute. Par la loi de la correspondance, c’est toujours la faute d’une mère.

 

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