Connard de virus*
Variant. Drôle de terme. Vous songez
variété, chanson, divertissement, bamboche. Soirée déguisée. À la rigueur bal
masqué. Ah, non ! Pas masqué ! Ras l’écouvillon du masqué ! En
plus 2021 n’est pas très « ohé, ohé » et apparemment vos associations
d’idées sont délirantes. En cherchant, vous trouvez : « organisme qui
se différencie des autres membres de la même espèce par des caractères
mineurs ».
Vous voilà éclairée. Mais pas tant que
ça. Vous ne saisissez toujours pas : la propagation du virus anglais à
soixante pays, soit plus de dix nouvelles cibles en une semaine, le variant
africain, le variant brésilien qui n’a rien de carnavalesque, cela ne vous
semble pas mineur. Ni le fait d’être plus contagieux qu’un succès sur Netflix.
Ce connard de virus (Coronavirus, connard de virus : vous l’avez ?
Non, vous préférez vérifier parce qu’en ce moment, perso, vous avez la vivacité
d’un gastéropode expulsé de sa coquille...) voyage plus que vous ne le ferez
jamais, le permis de voler il s’en tape le pangolin : il est plus libre et
virulent que vous n’osez en rêver alors que vous voguez de confinement en
confinement, le vague à l’âme et l’attestation en poche. Différence majeure.
« Mutant » vous paraît plus
approprié. D’abord, le mutant fait peur. Et, franchement, l’atmosphère vous
semble un chouia angoissante. Vous vous réveillez angoissée, vous déjeunez
angoissée, vous vous douchez angoissée et ainsi de suite tout au long de la
journée. Vous avez beau aérer, il se diffuse constamment chez vous comme un
petit parfum d’angoisse. Un diffuseur senteur de pangolin sur lequel une
chauve-souris sournoise appuierait bien trop régulièrement pour que l’ambiance
redevienne sereine et respirable.
Mutant, ça sonne comme un être malfaisant
doté de super pouvoir dans une dystopie. Et, bien que vous soyez infiniment
raisonnable et respectueuse de toutes les mesures qui vous tombent sur le coin
du nez tous les jeudis, jour haut en angoisse et mesures variées, vous ne
pouvez pas nier qu’il vous arrive de vous demander si vous n’avez pas franchi
la frontière d’un univers liberticide qui nécessite de résister…
Respecter des lois votées par des
individus pour lesquels vous avez, plus ou moins, voté, c’est une chose :
suivre aveuglément des mesures imposées au nom du bien commun, ça a un
arrière-goût de coercition abusive. Il vous arrive de chercher de la cohérence
et de ne pas en trouver. Pas plus de logique que de fraises sous la neige. Ce
qui vous conduit, soit à douter soit à vous inquiéter.
Pourquoi fermer les stations de
ski ? Le mutant attaquerait-il plus en plein air, des sportifs gantés, que
des consommateurs avides de soldes agglutinés dans les supermarchés ?
Pourtant, de voisins pays accordent la liberté de skier. Vous vous interrogez
par pure passion de la réflexion, car, vous êtes comme ça : vous aimez
penser, nuit et jour, au débotté, à tort et à travers. Surtout à tort et à
travers.
Néanmoins vous le reconnaissez
volontiers, l’idée de vous engoncer dans des accoutrements aux couleurs si aveuglantes
que leurs concepteurs mériteraient une bonne énucléation, vous harnacher
d’objets en tout incompatibles avec une démarche humaine normale dans le but de
gesticuler par des températures indécemment glaciales, pour finir par vous
extirper de ces équipements en dégageant des remugles dignes d’un cocker
revenant d’une sortie pluviale… Cette idée ne vous enchante guère.
Si vous étiez un virus, vous en prendriez
volontiers à des êtres capables de dépenser des fortunes pour réaliser une si
absurde activité. Si vous étiez un mutant, indestructible, vous gaussant des
vaccins, variant au gré de vos envies, vous ne laisseriez aucun répit aux
skieurs. Mais pas seulement. Vous accorderiez l’immunité aux individus dont
vous partagez les goûts et seriez sans pitié aucune pour les autres. Oui, si
vous étiez un mutant, vous seriez un tyran, effroyable et dingue, cruel et
arbitraire. On ne serait pas sorti de la dystopie. Mais la dystopie des uns
fait-elle l’utopie des autres ? Hein ? Alors ? Pas plus d’idée
que de tomates sous la glace ? Non ? Laissez tomber : vous
n’êtes pas un virus. Totalement inoffensive. Sauf, peut-être, pour la santé
mentale de Choupinet et Choupinette. Ils règleront ça plus tard.
Mutant, décidément, ça rime avec jour
blanc. Et, celui-ci s’installe : la limite entre la pandémie et la sortie
de crise s’installe dans un long flou, un tunnel blanc dont vous ne voyez pas
du tout le bout, sans cesse repoussé. Pourtant vous ne vous voyez pas jeter la
pierre à qui que ce soit. D’abord vous êtes plutôt d’un naturel pacifique et
jeter des pierres, non, ça doit faire mal. N’empêche quand on annonce une
annonce le mercredi, on s’y tient. Bordel. Même si c’est une fuite
journalistique. Même si cela met à mal la tradition du jeudi, de toute façon
tout fout le camp. Même si c’est pour confiner et repousser la bamboche aux
calendes chinoises. Parce que le péquin moyen pas vacciné, il saisit la moindre
branchouillette pour s’y accrocher fermement histoire de garder la tête, au
moins le nez, hors de l’eau, sans cela, le péquin ne respire plus et il coule.
À force, de vague en vague, vous espérez toucher enfin le fond. Et remonter
donc. Éternelle optimiste. Mais non, il reste de la pandémie à creuser, du
vaccin à tester, des scénarios catastrophes à ruminer, du non-essentiel à
achever, de l’insouciance à écrapatouiller. Vous finirez pas vous sentir plus
légère : sans espoir, sans perspective, sans projet... Qu’est-ce qu’on se
marre. En tout cas, le méchant mutant, il rigole.
Le mutant est méchant. Oui. Au dîner du
connard de virus, vous êtes le dindon de la farce. Et les blagues les plus
courtes...
Bon. Dormir jusqu’à la prochaine
annonce ? Excellente idée.
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